ÉTUDE PAYS - BURKINA FASO


Échantillon et zones de l'étude

L’enquête de terrain a eu lieu à Ouagadougou et dans ses communes rurales périphériques (30 km maximum) où HI intervient depuis longtemps. Cette configuration a permis de comparer la situation dans la capitale et en milieu rural.

État des lieux de l’éducation inclusive au Burkina Faso

Au cours de ces dernières décennies, le Burkina Faso a réalisé des progrès impressionnants en matière d’éducation mais le pays est aujourd’hui confronté à des défis importants, en particulier l'insécurité persistante dans la région du Sahel où plus de 2000 écoles ont dû fermer leurs portes ces dernières années. En ce qui concerne le champ de l’éducation inclusive, le Burkina Faso est l’un des premiers pays d’Afrique de l’Ouest à avoir pris conscience de la nécessité de scolariser les enfants handicapés. Par rapport à ses voisins du Mali et du Niger, il affiche une situation éducative plus favorable aux enfants handicapés. Toutefois, malgré les efforts réalisés par la société civile et l’Etat burkinabè, leurs besoins, et ceux des filles handicapées en particulier, restent encore largement insatisfaits.

Au Burkina Faso, les OPH et les organisations religieuses et/ou caritatives ont été les pionnières en matière de prise en charge éducative, de soin et de réhabilitation des enfants handicapés. Les premières expériences d’intégration des enfants handicapés dans l’éducation remontent à la fin des années 1970 avec l’Arche de Nongr-Maasem (1978), l’Union Nationale des Associations Burkinabè pour la Promotion des Aveugles et Malvoyants (UN-ABPAM, 1979), l’Institut des Jeunes Sourds du Faso (IJSF, 1980), l’Association des Parents, amis et sympathisants des Enfants Encéphalopathes (APEE, 1988) et le Centre d’Education et de Formation Intégrée des Sourds et des Entendants (CEFISE, 1988).

Les OPH ont développé une expertise au fil des années grâce au soutien de l’UNICEF et d’ONG telles que HI, Light for the World, ou CBM. Les organisations religieuses d’obédience chrétienne — l’enseignement catholique et les missions évangéliques protestantes — dominent toujours nettement le terrain de l’éducation inclusive.

Les OPH ont d’abord développé des écoles spécialisées en proposant une offre éducative pour un type de handicap spécifique (surdité, cécité, ou déficience intellectuelle). Mais progressivement, elles ont cherché à intégrer les enfants handicapés dans des écoles ordinaires, puis à créer leurs propres écoles inclusives où enfants handicapés et non-handicapés apprennent ensemble.

L’Etat s’est progressivement engagé sur le terrain de l’éducation inclusive. A partir de 2004, grâce à l’accompagnement technique et financier de HI, le MENA a commencé à développer des projets pilotes à Tanghin-Dassouri (à 25 km de la capitale), faisant de cette commune rurale le berceau de l’éducation inclusive publique au Burkina Faso.

3 CTIS (Classes Transitoires d’Inclusion Scolaire) pour les enfants déficients auditifs ont été ouvertes. Au bout de trois années d’apprentissage de la langue des signes, ces enfants ont poursuivi leur cursus scolaire, sur place, dans une classe de CE1 ordinaire.

A partir de 2007, le gouvernement a consenti beaucoup d’efforts pour développer une prise en charge complète des personnes handicapées. Cela s’est traduit par la mise en place d’un des cadres juridiques et législatifs les plus avancés en Afrique de l’Ouest.

En 2017, la Direction de la Promotion de l’Education inclusive, de l’Education des Filles et du Genre (DPEIEFG) voit le jour à la suite de la fusion avec les deux directions en charge de l’éducation des filles et du genre. Cette fusion confirme le choix d’accorder une place importante à l’éducation inclusive. Un comité de pilotage a été créé au niveau du MENA pour élaborer la Stratégie nationale de l’Education inclusive (SNDEI).

Malgré les efforts consentis par l’Etat, la Directrice de la DPEIEFG reconnaît que la réalisation du droit à l’éducation des personnes vivant avec un handicap peine encore car les moyens attribués sont faibles et les orientations fixées par l’Etat ne sont pas appliquées.

Par exemple, les personnes handicapées peuvent bénéficier d’une carte d’invalidité qui leur permettrait de bénéficier de certains avantages sociaux (gratuité ou réduction au niveau de la santé, de l’éducation, des transports) et les étudiants handicapés déclarés indigents ont automatiquement droit à une bourse.

Mais ces mesures ne sont pas systématiquement appliquées par les agents de l’Etat.

Pourtant, des pénalités aux personnes morales ou physiques sont prévues (de 50 000 à 100 000 FCFA et en cas de récidive, une amende de 100 000 à 200 000 FCFA) en cas de manquement aux articles relatifs à l’accès aux soins, à l’éducation et au transport (article 52), mais elles excluent toute possibilité de sanction à l’encontre de l’Etat et de ses démembrements.

Le coût de la SNDEI s’élevait à environ 9,3 milliards de FCFA (presque 14 millions d’euros) en 2016.

Les principaux enjeux sont le développement d’un système de communication et d’information sur l’éducation inclusive, ainsi que l’adaptation du programme inclusif et la formation des enseignants.

Mais le MENA demande plus de moyens pour améliorer la prise en charge pédagogique (comme la création d’une imprimante braille) et sanitaire des enfants handicapés (verres correcteurs, lentilles, fauteuils roulants, etc.).

L’offre en matière d’éducation inclusive est très insuffisante par rapport à la demande. Le nombre d’écoles existantes pouvant accueillir les enfants handicapés est faible et celles en capacité de les accueillir sont en majorité des structures privées localisées dans les zones urbaines.

La répartition géographique des structures d’éducation inclusive est en décalage avec la demande éducative car la grande majorité des personnes handicapées vivent en milieu rural et possède un faible niveau d’instruction. Cette répartition spatiale inégale est à l’origine des distances élevées entre le domicile des enfants handicapés et l’école, et des difficultés d’accueil dans les centres.

La loi d’orientation de l’éducation fixe la gratuité de l’école de 6 à 16 ans comme un principe intangible pour atteindre l’éducation pour tous. Mais en dehors des expériences menées dans le écoles pilotes publiques avec les ONG où la scolarité est gratuite, la scolarisation des enfants handicapés relève presque du luxe au regard des revenus très modestes des parents.

Les structures privées d’éducation inclusives sollicitent généralement des parrainages auprès de fondations et d’ONG pour prendre en charge les enfants handicapés les plus pauvres mais ces financements ne sont pas pérennes et tendent à s’amenuiser.

Le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale gouvernement a conduit en 2013 le premier recensement des enfants handicapés — une première dans la sous-région ouest-africaine. Mais ce recensement reste encore limité. Il est toujours difficile d’évaluer le nombre exact d’enfants handicapés scolarisés car il n’existe pas de répertoire des écoles travaillant sur le handicap.

Cette absence de statistiques solides limite tout plaidoyer et prise de conscience par la majorité des décideurs de la situation délicate des enfants handicapés.

Malgré les faiblesses méthodologiques du RGEH 2013, ce recensement a permis de faire ressortir que les besoins des enfants handicapés étaient importants et très faiblement satisfaits pour tous les types de handicap et dans l’ensemble des régions du pays.

La problématique de la qualité constitue une grande préoccupation pour les acteurs de l’éducation. Lorsque les enfants handicapés sont intégrés dans des écoles publiques ordinaires, on constate que dans bien des cas, elles ne peuvent pas assurer une prise en charge de qualité: le matériel et les infrastructures ne sont pas non adaptés ou inexistants, et les enseignants ne sont pas suffisamment formés.

Il existe un véritable fossé en terme de qualité d’accueil, de prise en charge, d’enseignement et de formation des enseignants entre les écoles inclusives publiques et privées, au profit des dernières.

Frais de scolarité dans les structures privées d’éducation spécialisée et inclusive

# APEE : 172 000 FCFA par an en école spécialisée ; 55 000 FCFA en primaire, contre 81 000 FCFA en 6ème et 96 000 FCFA en Terminale.

# CEFISE : 55 000 FCFA (frais d’hébergement en famille d’accueil compris).

# Centre EFFATA : la scolarisation des enfants handicapés en internat coûte 127 000 FCFA par an. Mais si la famille peut justifier d’un certificat d’indigence, elle paiera 27 000 FCFA par an.

# Ecole Siloé : 314 000 FCFA par an (coût réel de la prise en charge). Les parents contribuent parfois en nature. La Fondation Liliane et la Mission Braille parrainent les enfants. Un seul enfant a payé la totalité des frais cette année.

# Ecole privée Renaissance : 53 000 FCFA par an (42 000 FCFA auparavant. L’augmentation des frais de scolarité a fait partir une trentaine d’élèves).

Source : données recueillies auprès des structures lors de la mission de terrain.

Un fossé entre le public et le privé

Au Centre EFFATA Ludovic Pavoni (photos en haut), les enfants entendants signent couramment et systématiquement pendant le cours (voir la vidéo). Les classes, en parfait état, ne sont pas surchargées, et tous les enseignants maîtrisent parfaitement la langue des signes.

Cela contraste avec les conditions des écoles pilotes à Tanghin-Dassouri (photos en bas) où la classe que l'équipe de recherche a visitée était composée d’environ 70 élèves, dont 2 enfants avec une déficience auditive. Deux enseignants font cours, dont un qui s’occupe exclusivement des deux enfants avec une déficience auditive. Bien que ces deux enfants disposent d’un enseignant pour eux uniquement, ils évoluent à côté, et non avec leurs camarades (voir la vidéo). Ce dispositif ne paraît pas efficient au regard du nombre d’enfants handicapés potentiels non pris en charge dans la commune. De plus, les enseignants manquent de supports didactiques — notamment un alphabet en langue des signes — et ils se plaignent de ne pas être assez formés.

Influence des croyances religieuses et populaires

dans l'éducation des filles handicapées au Burkina Faso

Au Burkina Faso, le handicap souffre encore de croyances populaires et religieuses tenaces. Le handicap est souvent associé à la malédiction ou au châtiment pour un péché commis par un parent proche ou lointain. Les femmes sont fréquemment tenues responsables de la maladie à cause d’un adultère ou d’un interdit transgressé par la mère. Le handicap serait aussi le résultat de la volonté de Dieu, du destin, de l’action des génies, de la colère des ancêtres ou encore d’une attaque en sorcellerie. On retrouve alors toute une gamme de comportements envers les personnes handicapées, du rejet à la sur-protection, de l’élimination physique à l’indifférence ou à la négligence.

Ces croyances concernent aussi bien les communautés musulmanes que chrétiennes.

Le manuel de formation des enseignants en éducation inclusive (MENA-HI, 2012) résume bien les perceptions négatives à l’égard des enfants handicapées dans la société traditionnelle burkinabè :


« Des cas d’infanticides étaient jadis constatés sur des enfants qui naissaient avec une malformation. Ces derniers étaient abandonnés, déposés vivants dans les fourmilières, dans les bois sacrés ou éliminés discrètement par le système d’étouffement, de gavage, de lavement (purge) avec des décoctions toxiques. Ces forfaitures étaient attribuées par la suite à la punition des ancêtres, aux génies et autres dieux. Des enfants "encéphalopathes" sont considérés dans certaines familles comme des enfants serpents, "porte-malheur", génies ou comme des animaux pour des familles de chasseurs.

Dans d’autres milieux, ils sont souvent abandonnés à leurs mères sans aucun soutien sous prétexte qu’elles auraient enfreint aux coutumes ou qu’elles auraient traversé un bois sacré, une rivière ou une grotte aux serpents (cas de Séguénéga dans la province du Yatenga) pendant la grossesse. »

Cette image négative du handicap renvoyée par la société influe sur toute la famille, c’est pourquoi celle-ci est souvent la première à négliger et à discriminer le membre handicapé, même si le handicap est le résultat d’un accident au cours de l’âge adulte.

Les enfants handicapés sont moins bien traités au sein de la famille. On les cache, on les enferme car on a honte d’eux. Certains disent qu’il faut les tuer sinon le père va mourir.


FGD avec les OPH, Ouagadougou

Aux yeux de la société, les personnes handicapées ont moins de valeur qu’une personne valide. Elles constituent un fardeau et leur prise en charge est souvent considérée comme un véritable luxe.

FGD avec les OPH, Ouagadougou

Une perception et un traitement variables en fonction des groupes ethniques

Dans certaines communautés, le handicap n’a pas toujours été perçu négativement. Par exemple, en pays bissa (Garango), les personnes aveugles étaient considérées comme des êtres ayant certains pouvoirs. En bissa, le terme « bou » signifie à la fois le « devin » et l’« aveugle ».


Les Peuls ne veulent pas déclarer leurs enfants handicapés à cause de la noblesse de la famille. Ils sont enfermés, et c’est encore pire pour les enfants déficients intellectuels, ils sont enchaînés.

FGD avec les OPH, Ouagadougou

Certains handicaps sont perçus plus négativement que d’autres — comme l’épilepsie, l’albinisme et la déficience intellectuelle. De plus en plus de cas d’autisme sont détectés mais on ne sait pas les traiter. Cette maladie reste très méconnue, aussi bien au niveau de la population que des acteurs institutionnels. Les parents sont livrés à eux-mêmes.

Les personnes épileptiques sont assimilées à des êtres impures et contagieux. Elles sont souvent ostracisées et soumises à une surveillance sociale constante car leurs flatulences et leur salive sont extrêmement redoutés. Pour la plupart des enfants, la maladie entraîne un arrêt de la scolarité, lié aussi bien aux moqueries des camarades de classe qu’aux troubles somatiques associés à la maladie, d’autant que les médicaments font défaut. Il semblerait que les filles soient moins bien traitées que les garçons (cf. Les cas d’Elisabeth et d’Eli). Elles ont plus de difficultés à se marier que les hommes car l’idée répandue est qu’elles transmettraient la maladie aux enfants.

En ce qui concerne les personnes albinos, « les gens les fuient ou les accusent de toutes sortes de choses. On les traite de sorciers et de sorcières. On les enlève et on les tue pour avoir leurs organes ». Elles font l’objet de sorcellerie et de sacrifices car chaque fragment de leur corps est prisé pour les pratiques rituelles et fétichistes : leurs cheveux sont vendus à un prix élevé aux chefs ou aux notables, avides d’accroître leurs pouvoirs ; avoir un rapport sexuel non protégé avec une femmes albinos permettrait de guérir du VIH/SIDA ; pour assurer la virilité d’un homme, il s’agirait de se procurer les organes génitaux d’un albinos. Les albinos sont tout à la fois évités, rejetés, marginalisés et courtisés mais les filles restent plus vulnérables que les garçons.

Les enfants présentant une déficience intellectuelle sont les plus marginalisés et les plus exclus de la société. Le directeur de l’APEE souligne que « les filles déficientes intellectuelles sont plus vulnérables car certains pensent que coucher avec elles leur apporteront prospérité et pouvoir ».

Les vrais croyants savent que les personnes handicapées sont des êtres créés par Dieu. Mais cela demande un travail intérieur important pour considérer l’autre.

Imam, Ouagadougou

Influence de la religion et des guérisseurs dans la santé des filles handicapées

Il apparaît dans les entretiens que les perceptions négatives autour du handicap sont plus du fait des croyances populaires que de la religion en elle-même. Au contraire, la religion — que ce soit l’islam ou le christianisme — apporte un message de bienveillance et de protection à l’égard des personnes handicapées. On retrouve bien souvent de la fatalité et de la résignation parmi les parents des enfants handicapés car « c’est Dieu qui a donné, nous ne pouvons rien faire contre sa volonté ».

L'équipe de recherche a rencontré plusieurs familles dont le père — ou l’oncle — était pasteur. Faute d’argent, celles-ci s’en remettent à Dieu et à la prière pour guérir leurs enfants handicapés.

Élisabeth

14 ans, déscolarisée

Élisabeth est épileptique. Ses parents ont migré en Côte d’Ivoire quand elle était jeune pour devenir cultivateurs de cacao et d’hévéa. Elle est restée vivre chez son oncle pasteur, à 100 km de Ouagadougou puis elle est revenue habiter chez ses parents lorsqu’ils sont rentrés au village à Komki-Ipala (à 25 km de Ouagadougou) l’année dernière à cause des problèmes de santé du père et de la petite soeur de 9 ans, Sarah, qui souffre de séquelles d’injection liée à la polio.

A l’origine, nous devions visiter Sarah qui avait été identifiée par le chargé des affaires sociales de Komki-Ipala mais nous avons découvert au passage l’existence d’Élisabeth.

Élisabeth ne va plus à l’école tandis que sa soeur Sarah n’y est jamais allée, alors que les 4 autres frères et soeurs bien portants y vont tous (dont une fille de 19 ans qui est en 4ème et une autre de 6 ans qui est rentrée au CP1).

Son oncle, présent lors de notre visite, se souvient :

« Les crises d’Élisabeth ont commencé au CP1, sur la route de l’école, puis en classe. Elle est passée en CP2 mais les enseignants l’ont expulsé car sa prise en charge devenait trop lourde. On l’a amené à l’hôpital où on lui a donné des comprimés mais lorsqu’elle les prenait, elle devenait folle. On a alors tout arrêté. Grâce à la prière, elle va mieux aujourd’hui. Mais à cause de sa maladie, nous n’avons pas cherché à la scolariser de nouveau. »

Le traitement de l’épilepsie est problématique car les médicaments ne sont pas disponibles dans les dispensaires. Les familles d’enfants handicapés sont des cibles privilégiées pour les charlatans qui font le tour des églises protestantes pour vendre des faux médicaments très chers.


On observe également que les parents et les enseignants font plus d’efforts pour les garçons handicapés. Par exemple, Éli a 16 ans, il est épileptique. Sa famille est pauvre. Son père est pasteur, il ne gagne pas de salaire. La famille possède juste un jardin qu’elle cultive.

Éli

16 ans, déscolarisé à Yahoré

Depuis que Éli a 3 ans, il tombe, il a des évanouissements tous les 5-6 jours. On nous a dit qu’il était épileptique. On l’a quand même inscrit à l’école à l’âge de 7 ans mais il a arrêté d’y aller en CM1. Il n’a pas été renvoyé. Les enseignants ont tout fait pour le garder. C’est lui qui a décidé de partir. Les élèves se moquaient de lui quand il faisait ses crises. Il ne parle pas beaucoup. Il aide son père au jardin et il fait ce qu’il veut. On l’a amené à l’hôpital à Tanghin-Dassouri et au dispensaire à Yahoré. Il prend des comprimés à 100 FCFA depuis qu’il est petit mais cela n’a rien fait. Cette année, un guérisseur est venu dans notre église pour vendre des médicaments « pour ceux qui tombent ». Ça coûte très cher, 42 000 FCFA et ça ne dure que deux semaines. Il nous manquait 10 000 FCFA alors on a acheté que la moitié. On n’a pas vu d’amélioration depuis. Eli voudrait rejoindre son grand frère installé à Ouagadougou mais on n’est pas d’accord car il tombe souvent.

Lorsque les familles amènent leurs enfants au dispensaire pour consulter, certaines ne voient pas de progrès et décident alors de voir un guérisseur traditionnel ou un tradi-praticien, comme dans le cas de Adama, 12 ans, non-voyant, intégré dans une classe ordinaire en CE2 et suivi par l’UN-ABPAM.

Adama

12 ans, en CE2 à Gounghin Nord

J’ai perdu la vue à 4 ans. Mes parents m’ont amené au dispensaire mais cela n’a rien fait. Ils m’ont ensuite amené voir un guérisseur pour qu’on me « balaie les yeux, pour m’enlever les fourmis dans les yeux ». J’ai pris une décoction mais ma vue a encore plus baissé. Après, je suis resté longtemps à la maison. C’est mon père qui a appris qu’il y avait quelque chose ici, à l’UN-ABPAM. J’ai pu alors aller à l’école.

Si les croyances traditionnelles et religieuses peuvent avoir un impact négatif sur la santé des enfants handicapés, les églises catholiques et protestantes occupent néanmoins une place centrale dans leur éducation, et notamment celle des filles handicapées car elles encouragent les parents à les scolariser. Pour cela, les organisations chrétiennes vont multiplier les parrainages pour prendre en charge les frais de scolarité, l’hébergement, les soins, l’alimentation, le transport, l’habillement et les fournitures scolaires. Au final, les parents ne paieront quasiment rien.

En ce qui concerne les communautés musulmanes, les écoles coraniques et les médersas répondent à une demande particulière des familles qui souhaitent associer un enseignement religieux au programme général ou expriment un rejet plus net de l’école classique, notamment pour les filles, car elle est assimilée à un instrument de la religion chrétienne.

Les élèves dans les écoles coraniques sont en règle générale de sexe masculin, tandis que les filles sont de plus en plus présentes dans les médersas.

A la différence du Niger, les enfants handicapés rencontrés au cours de l'étude ne vont pas à l’école coranique en parallèle de l’école ordinaire ou spécialisée.

Toutefois, on retrouve des enfants handicapés dans ces écoles où les enseignants ne sont pas formés pour les prendre en charge, comme l'équipe de recherche a pu le constater lors de sa visite dans une médersa à Yahoré où un garçon avec une déficience intellectuelle est scolarisé.

Les conditions d’enseignement dans les médersas sont particulièrement précaires dans les communes rurales.

Médersa à Yahoré

Cette médersa a deux classes, une pour les garçons et une autre pour les filles. Un seul maître était présent ce jour-là et faisait classe pour les garçons, tandis que les filles étaient livrées à elles-mêmes.

Les discriminations liées à l’intersectionnalité


Genre & Handicap

Les facteurs sociaux et culturels contribuent en grande partie à l’explication de la sous-scolarisation des filles au Burkina Faso et d’une manière générale en Afrique sub-saharienne. La conception traditionnelle des rôles des hommes et des femmes influence l’investissement de la famille et de la communauté dans l’éducation des enfants. Le garçon, orienté vers les activités hors de la sphère domestique et futur pourvoyeur de finances, sera davantage envoyé à l’école, voie potentielle d’acquisition d’un emploi salarié ; ce qui n’est pas le cas pour la fille, confinée dans les activités domestiques. La femme est généralement considérée comme une perpétuelle « étrangère » parce qu’amenée à se marier et à rejoindre sa belle-famille. Toutefois, il convient de de souligner que les mentalités sont en train de changer progressivement au Burkina Faso et l’importance d’investir dans la scolarisation des filles est de plus en plus exprimée par les populations. Un imam confirme cette tendance :

« Il vaut mieux avoir une fille qu’un garçon aujourd’hui car on se rend compte que la fille va mieux s’occuper de sa famille quand elle réussit. Elle arrive à avoir un travail. Même quand elle se marie, elle s'occupe de ses parents. C’est pourquoi on va scolariser la fille. Alors que les garçons ne s’occupent que d’eux, ils n’ont plus d’argent pour prendre soin de leur famille. »

Au cours de ces dernières années, des efforts remarquables ont été accomplis dans le domaine de l’éducation et en particulier sur le plan de l’équité de genre. Le Burkina Faso est passé de 60% d’enfants non-scolarisés au début des années 2000 à un taux brut de scolarisation général en 2016/2017 de 88,5% (88,1% pour les garçons et 89,0% pour les filles).

Des progrès ont été enregistrés dans les taux d’achèvement des filles au primaire, avec une parité filles/garçons atteinte depuis 2013. Les filles et les garçons accèdent et achèvent désormais l’école primaire de façon quasi-identique. Les résultats au CEP session 2016 montrent que le taux d’admission était de 58,8% chez les garçons et 65,7% chez les filles. Dans toutes les provinces, une proportion plus grande de filles que de garçons a été admise au CEP. Ces chiffres encourageants montrent qu’en primaire, il y a peu de différence entre les filles et les garçons et que les filles réussissent parfois mieux que les garçons.

Cette progression s’explique par la mise en place d’une politique nationale genre et d’une Stratégie Nationale d’Accélération de l’Education des filles (SNAEF) 2012-2021 fortement financée par l’UNICEF pour favoriser l’accès et le maintien des jeunes filles au primaire, telles que l’octroi de bourses et de kits scolaires, la distribution gratuite de vivres, l’amélioration de l’environnement scolaire (latrines séparées et points d’eau), la dotation de moyens de locomotion (vélos), etc.

Toutefois, l’étude réalisée par la coopération canadienne montre que si les filles ont des résultats quasi identiques et même parfois supérieurs à ceux des garçons dans les classes inférieures du primaire, ces résultats se dégradent à partir du cours moyen (CM1 et CM2). Au secondaire, les filles sont peu représentées par rapport aux garçons et réussissent moins bien. Le problème de maintien à l’école se pose avec plus d’acuité chez les filles. En 2016, seulement 13% des filles du post-primaire ont atteint le niveau secondaire. Cet écart entre les garçons et les filles se perpétue au supérieur et plus tard dans la sphère professionnelle.

Il vaut mieux avoir une fille qu’un garçon aujourd’hui car on se rend compte que la fille va mieux s’occuper de sa famille quand elle réussit. Même quand elle se marie, elle s'occupe de ses parents.

Imam, Ouagadougou

En dépit des efforts consentis et des progrès enregistrés en matière de scolarisation des filles, les résultats restent particulièrement défavorables aux filles handicapées. Pour les parents, investir dans l’éducation revient à investir dans une assurance intergénérationnelle.

L’éducation d’un enfant handicapé fait ainsi l’objet d’un choix raisonné au plan économique d’abord avant de l’être au plan social. La scolarisation des filles handicapées continue de représenter un coût d’opportunité trop élevé.

Les parents ne veulent pas payer pour leurs enfants handicapés en général car ils ne vont rien rapporter, mais ils investissent encore moins dans les filles handicapées.

FGD avec les OPH, Ouagadougou

Les filles non handicapées sont marginalisées. Le même schéma se transpose au niveau du handicap. On a du mal à les faire venir et à les maintenir à l’école.


FGD avec les OPH, Ouagadougou

Les filles handicapées sont moins scolarisées que les garçons handicapés

On constate effectivement qu’il y a moins de filles handicapées inscrites dans les établissements visités au cours de l'étude et que leurs effectifs se réduisent drastiquement au fur et à mesure de la scolarité.

Les discriminations liées à l’âge


La variable « âge » intervient très souvent en aggravant la discrimination à l’encontre des filles handicapées par rapport aux garçons handicapées, notamment à cause de la différence de traitement du genre liée à la puberté.

Lorsque les filles handicapées arrivent à être scolarisées, elles commencent souvent l’école tardivement. Par conséquent, elles sont plus âgées que les filles non-handicapées lorsqu’elle finissent le cycle primaire. L’âge de la puberté est une période charnière et sensible dans la vie d’une jeune fille africaine car c’est à ce moment où les inégalités de genre s’accentuent à cause des tâches ménagères et des pressions sociales autour du mariage et des menstrues. D’une part, les filles sont plus susceptibles que les garçons d’abandonner l’école car elles redoublent plus et obtiennent de moins bons résultats que les garçons. D’autre part, elles risquent d’être retirées de l’école par les parents afin de prévenir une grossesse non désirée ou pour les préparer au mariage.


Une enquête du MENA datant de 2005 révèle que 88% des filles interrogées doivent réaliser des travaux ménagers les jours de classe, contre 32% pour les garçons, ce qui ne leur permet pas d’apprendre convenablement. Toutefois, dans certaines régions, aussi bien les garçons que les filles ne vont pas à l’école à l’approche de la saison des récoltes, ou ils sont retirés de l’école pour garder le bétail.

Le RGEH 2013 fait ressortir que les tâches ménagères occupent une place importante dans la vie des enfants handicapés car 27,4% d’entre eux en sont soumis. On constate que les filles handicapées sont parfois plus soumises aux travaux domestiques que les filles non-handicapées.

Une directrice d’école primaire a raconté l’histoire d’une jeune fille albinos qui manquait régulièrement la classe car elle était exploitée par sa famille.

« Elle a été rejetée et battue par sa famille. C’est sa grand-mère qui l’a récupérée car elle est dépendante. La petite-fille lui fait le ménage mais la grand-mère ne se soucie pas qu’elle soit en retard à cause des travaux ménagers. »

Bien que la directrice soit consciente de la situation d’exploitation et de rejet subie par cette jeune fille albinos, elle aimerait tout de même l’exclure de l’école car « elle ne montre pas le bon exemple ».

Les grossesses et les mariages précoces sont les principaux facteurs contribuant à l’abandon scolaire par les filles. Le Burkina Faso fait partie des dix pays africains les plus affectés par le mariage d’enfants. La loi permet à une jeune fille d’être mariée à 17 ans, contre un âge minimum légal de 20 ans pour les homme. 10% des femmes se sont mariées avant l’âge de 15 ans et 52% avant l’âge de 18 ans. Les études montrent que cette pratique ne va pas en diminuant. Sa persistance paraît liée à un fort niveau d’acceptation sociale : 44% de la population pense qu’il est acceptable qu’une fille se marie avant l’âge de 18 ans.

En ce qui concerne les filles handicapées, selon les OPH:

« Le problème n’est pas le mariage précoce mais plutôt tardif car il faut leur trouver un mari et c’est plus difficile pour les femmes handicapées que les hommes handicapés. Sauf à Kaya où les aveugles ne peuvent pas avoir de femmes. Il suffit que l’homme handicapé ait les capacités financières pour subvenir aux besoins des membres de la famille et il aura la chance de trouver une femme. Par contre, la femme handicapée est évitée par les hommes tout simplement parce qu’on pense qu’elle ne peut pas être une bonne épouse.

On va généralement marier les filles handicapées avec un homme qui a le même type de handicap, mais ce n’est pas facile de trouver. Elles vont être condamnées à rester avec leurs parents et être une charge pour eux. Elles vont donc plutôt être retirées de l’école pour aider à la maison car les famille ne croient pas en leurs capacités. C’est pour cela qu’il est important qu’elles continuent les études car si elles n’ont pas de maris, elles pourront au moins être autonomes en travaillant. »

Le mariage précoce des filles handicapées existe surtout chez les Peuls et dans certaines régions comme le Sahel et l’Est. A Bogo, elles sont données en mariage sans dot.

FGD avec les OPH, Ouagadougou

Facteurs aggravants

Pauvreté et Lieu de résidence

Les taux nationaux d’achèvement des différents cycles d’enseignement au Burkina Faso cachent diverses disparités : la faible scolarisation des filles par rapport aux garçons, des enfants des zones rurales par rapport à ceux du milieu urbain, des enfants des ménages pauvres par rapport à ceux des ménages nantis, des orphelins par rapport aux non orphelins, des enfants ayant un handicap par rapport à ceux sans handicap. Les disparités spatiales sont particulièrement importantes. Résider en milieu rural, par exemple, est nettement plus préjudiciable à la scolarisation d’un enfant que le fait d’être une fille. Etre fille orpheline des deux parents en milieu rural limite considérablement les chances de scolarisation. De même, être fille avec un handicap en milieu rural constitue un obstacle majeur à la scolarisation. Des disparités importantes subsistent également entre régions — notamment entre la région Centre et les régions du Sahel et de l’Est.

Alors que le phénomène de la mendicité des personnes handicapées devient de plus en plus inquiétant dans les grands centres urbains, le RGEH 2013 montre en revanche qu’un faible pourcentage d’enfants handicapés évolue dans la mendicité : 0,5% dans la région du Sahel et 0,2% dans les régions du Centre et du Centre-Est, pour un niveau national de 0,2%. Toutefois, le RGEH 2013 ne précise pas la répartition selon le genre.

Pour certains, la mendicité concernerait plus les Musulmans que les Chrétiens. Cela peut s’expliquer par le nombre important d’enfants talibés.

Selon une étude de l'Institut National de la Statistique et de la Démographe (2011), la mendicité des enfants talibés est la plus répandue, tandis que la mendicité des personnes ayant un handicap ne concernerait que les personnes âgées.

On observe que dans les familles chrétiennes, les enfants handicapés obtiennent plus d’aide et de soutien de la part des églises catholiques et protestantes. Par exemple, lors d’un FGD avec les parents d’enfants handicapés, une mère est venue accompagnée du pasteur de son église. Son enfant a pu bénéficier de soins spécialisés grâce à l’intervention d’un médecin chrétien fréquentant son église.


Au pays des hommes intègres, la mendicité n’est pas bien vue. C’est une honte. Quelque soit la gravité du handicap, il est inconcevable qu’on se transforme en mendiant. Cela déshonore les familles.


FGD avec les OPH, Ouagadougou

Celui qui mendie, c’est celui qui n’a pas de soutien. Les familles voudraient scolariser leurs enfants handicapés mais le principal problème, c’est la grande pauvreté !

FGD avec les OPH, Ouagadougou

Il apparaît selon les entretiens que le manque et le coût du transport constituent une des causes principales d’abandon car les écoles spécialisées et des structures d’éducation inclusive sont principalement localisées dans les grands centres urbains.

Par exemple, les parents résidant dans les communes rurales de Ouagadougou doivent payer 27 000 FCFA par trimestre en transport pour amener leurs enfants à l’APEE, ce qui constitue un budget important quand on sait que le SMIG s’élève à 33 139 FCFA (51 euros).

A l’EJA, les enfants parrainés ne paient rien, y compris le transport. Pourtant, d’après la directrice, cela n’a pas forcément un effet positif car les familles se désengagent :

« Au moment des vacances scolaires, les enfants restaient à l’école car personne ne venait les chercher ; les parents n’avaient pas le temps. On a sollicité la RBC pour les convoyer mais il y a eu des problèmes car certains enfants ont été oubliés et ils se sont retrouvés à mendier. Depuis ce jour, on a arrêté. On exige maintenant des parents de venir sinon, ils paient la famille d’accueil. »

Les longues distances à pied entre le domicile familial et l’école publique ordinaire posent également la question de la sécurité des enfants handicapés et surtout des filles, ce qui constitue un motif supplémentaire pour dissuader les parents de scolariser leurs filles handicapées. L’installation de cantines scolaires permettrait aux enfants de faire une journée continue sans devoir rentrer chez eux le midi.

 La contribution de l’Etat ne permet pas de couvrir la cantine toute une l’année. Dès le mois de mars, les vivres sont déjà épuisées et les APE doivent s’organiser pour compléter le reste de l’année 

Ancienne directrice de l'Education inclusive

Le manque de solutions de logement lorsque les familles habitent loin de l’école est également un frein important à la scolarisation des filles handicapées. Selon la directrice de l’EJA, l’internat n’est pas la meilleure solution pour les enfants handicapés :

« L’UN-ABPAM a d’abord mis en place des internats mais les enfants ne voulaient plus quitter leur internat et revenir au village car là-bas, ils ne sont pas bien traités et soignés. Pendant la saison des pluies, ils restent seuls à la maison. Après les vacances d’été, ils reviennent sales et mal nourris. Ils étaient enfermés et on ne les laissait pas sortir. On a donc opté pour des familles d’accueil. On a fait de la sensibilisation dans les marchés et auprès des imams. Les familles d’accueil ne viennent pas de milieux aisées mais plutôt pauvres. Elles reçoivent une petite motivation.

On demande aux familles des enfants handicapés de contribuer un peu et de donner un peu aux familles d’accueil, souvent en nature, des céréales et des condiments, par exemple. Mais maintenant, les enfants ne veulent plus quitter leurs familles d’accueil pendant les vacances. »

Avoir de la famille en ville facilite la scolarisation des filles handicapées car les OPH ont du mal à leur trouver un hébergement. Dans le cadre du projet de décentralisation de la scolarité au primaire dans les régions, l’UN-ABPAM a rencontré des difficultés particulières à faire venir les filles et à les maintenir à l’école — alors que l’association avait un financement de SHC — car elle n’arrivait pas à leur trouver des familles d’accueil. « A cause de problèmes ethniques et de clans, les familles sont réticentes à accueillir les filles handicapées », explique la responsable du projet.

Spécificités liées au type et au degré du handicap


Selon le RGEH 2013, la déficience dominante est celle liée à la mobilité (26%), suivie de la vision (11%), de l’audition (10,8%), de l’audition et du langage cumulés (9,7%) et de l’épilepsie (9,3%). 150 enfants avec un problème de bec de lièvre ont été recensés.

La distribution régionale des typologies de handicap indique que la déficience motrice ou physique demeure le handicap le plus répandu quelle que soit la région.

Les régions des Hauts-Bassins et des Cascades sont les plus touchées par les problèmes de vision tandis que la région du Nord est plus dominée par des problèmes liés à la maladie mentale.

La plupart du temps, il n’existe pas de solutions pour les handicaps lourds. Les parents n’essaient même pas de scolariser leurs enfants. Beaucoup n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants dans une école spécialisée ou privée, surtout s’ils vivent en zone rurale, et la très grande majorité des écoles publiques ordinaires ne sont pas en capacité de les accueillir.

La déficience auditive

D’après les OPH, lorsque les enfants avec une déficience auditive et visuelle arrivent à être scolarisés, ils rencontrent des difficultés à aller au-delà du primaire car la pédagogie dans les établissements du secondaire n’est pas adaptée. D’après les OPH, il est plus difficile d’insérer les enfants avec une déficience auditive dans le post-primaire par rapport aux enfants avec une déficience visuelle.

Par exemple, au CEFISE qui est reconnu comme un des établissements les plus avancés en matière d’éducation inclusive, on constate que peu d’enfants avec une déficience auditive atteignent le niveau secondaire. Sur 1791 élèves (enseignement général et technique), seulement 70 enfants handicapés — tous handicap confondus — suivent les cours. On compte seulement deux enfants avec une déficience auditive en 6ème et 5ème, toutes des filles.

Pourtant, au primaire, les enfants avec une déficience auditive sont nombreux et mélangés dans des classes inclusives où l’enseignant fait son cours tout en signant et les enfants entendants ont des solides bases en langue des signes. Au secondaire, en raison de la faiblesse des effectifs, ces deux filles avec une déficience auditive n’avaient pas d’interprètes pour les aider en cours car l’école a fait le choix — fautes d’enseignants formés disponibles — de les affecter dans les classes professionnelles où les élèves déficients auditifs sont plus nombreux (8 à 10 enfants en 2ème année d’électro-mécanique, dont 2 filles, voir la vidéo). Elles doivent donc se débrouiller avec les autres enfants entendants qui savent signer ou se faire aider par l’interprète pendant les heures creuses.

On pouvait observer dans la classe de 5ème que la fille avec une déficience auditive dormait au fond de la classe. Elle était isolée et n’arrivait pas à suivre, d’autant que l’enseignant ne maîtrisait pas la langue des signes et ne savait pas comment l’intégrer dans le cours.

CEFISE

Photo 1 : Classe inclusive au CM2

Photo 2 : Classe intégratrice en 5ème

La déficience visuelle

Les enfants avec une déficience visuelle sont plus nombreux à atteindre le niveau secondaire. Ils sont 61 à être intégrés dans des établissements publics et suivis par l’UN-ABPAM. On constate que les filles sont plus nombreuses en post-primaire mais qu’elles disparaissent progressivement plus on avance dans les études supérieures ou professionnelles. D’après la directrice de l’EJA, « certains enfants on pu avoir le CEP mais c’est difficile pour eux d’aller au collège. Quand ils y vont, ils ont de mauvaises notes, ils sont découragés et ils abandonnent ». Ils sont moins suivis et les enseignants en secondaire ne maîtrisent pas le braille.

D’après l’UN-ABPAM, la transmission des savoirs à destination des enfants avec une déficience visuelle implique un enseignement en braille et des documents adaptés, malheureusement en nombre insuffisant faute de machines de reproduction. Le Burkina Faso ne disposant d’aucune imprimerie braille, les opérateurs éducatifs se trouvent dans l’obligation de transcrire et de reproduire manuellement leur matériel didactique avec des coûts de transaction élevés (coût du papier braille et de l’impression feuille par feuille).

En matière de production de documents pour la formation des enfants avec une déficience visuelle, l’UN-ABPAM, qui est la seule organisation d’éducation inclusive disposant d’un matériel de reproduction, est dépassée par la demande.

De plus, le coût annuel des fournitures et du matériel didactique d’un enfant avec une déficience visuelle au primaire est extrêmement élevé (environ 88 400 FCFA).

Le Président de l’UN-ABPAM est en train de travailler sur un projet avec l’ONG Light for the world pour développer une application numérique afin de faciliter l’accès aux livres.

Enfin, au niveau de l’éducation des enfants avec une déficience visuelle, les réponses sont unanimes en faveur de l’éducation spécialisée pour les premières années d’apprentissage, confirmant ainsi la pertinence des CTIS pour ce type de public cible. Le directeur de l’école privé Renaissance aimerait réduire la CTIS à une année pour que les élèves puissent être intégrés au CP.

Photo 1 : Classe intégratrice de CM1 à Gounghin

Photo 2 : Exemple d’une copie en braille retranscrite

Photo 3 : Classe inclusive de CM1 à Renaissance

Les violences basées sur le genre et les enjeux de protection liés à la fille handicapée


Dans le RGEH 2013, l’examen des discriminations subies par les enfants handicapés montre une prédominance des insultes (46,8%) sur les autres types de discriminations, notamment la mise à l’écart (18,5%) et la violence physique (12,7%). Le recensement ne fait pas état des violences basées sur le genre alors que nous avons vu que les filles handicapées sont particulièrement vulnérables aux abus sexuels.

On constate un manque important d’information et de sensibilisation auprès des parents, des éducateurs, des acteurs institutionnels et des enfants. Des programmes de protection sur la santé reproductive et de la sensibilisation aux violences basées sur le genre sont à développer pour garantir leur intégrité physique et prévenir les abus sexuels, notamment dans les structures prenant en charge la déficience intellectuelle.

Par exemple, à l’APEE, dans les classes spécialisées, les garçons et les filles sont séparés car les garçons peuvent avoir des comportements violents et manifestent des besoins sexuels exacerbés.

Les OPH alertent sur le problème de la prise en charge de la fille handicapée si celle-ci est victime de viol et de grossesses non-désirées.

Aucune structure ou politique publique n’existe pour venir en aide à ces jeunes filles mères handicapées. De plus, ce phénomène reste largement invisible car très peu documenté.

La fille finit dans la rue et doit se débrouiller comme elle peut si la famille n’a pas les moyens de s’en occuper. Certaines filles handicapées vont chercher à avoir un enfant pour qu’il les aide.

FGD avec les OPH

Analyse des éléments facilitateurs

1/ Les enfants handicapés & leurs parents

Les parents d’enfants handicapés sont, pour leur grande majorité, sous l’emprise des pesanteurs socio-culturelles, ce qui conduit à des pratiques de discrimination, de relégation ou d’enfermement. Par ailleurs, ils ignorent les potentialités des enfants handicapés à apprendre et à réussir à l’école.

Toutefois, le RGEH 2013 montre que les familles sont conscientes des besoins de leurs enfants handicapés et désireuses d’offrir une éducation de qualité : 93,6% des chefs de ménages interrogés placent les soins médicaux comme première priorité, suivie des besoins en éducation (77,9%) et des besoins en formation (76,1%). Ces chiffres montrent que le plaidoyer visant à soutenir les familles est pertinent et à poursuivre.

Généralement, c’est la mère qui est investie dans l’éducation des filles mais on remarque que père (ou une figure paternelle) a aussi un rôle déterminant dans leur réussite scolaire.

Lorsque les parents et les membres de la famille sont sensibilisés, ils sont confiants dans la réussite de leurs enfants handicapés, et ces derniers — notamment les filles — réussissent mieux à l’école que les enfants non-handicapés, comme dans le cas de Awa, une jeune fille non-voyante de 12 ans scolarisée à l’école Renaissance en classe de CM1.

Awa

12 ans en CM1 à l’école Renaissance

Awa a perdu la vue au CP2. C’est sa tante, résidente à Ouagadougou, qui l’a amené à la Renaissance. Sa famille habite à plus de 100 km de la capitale. Mais après une année dans cette école, sa mère l’a retirée car elle voulait la protéger et ne croyait pas en ses capacités. Sa tante et le directeur ont réussi à convaincre la mère de la laisser retourner à l’école. Awa est aujourd’hui une des meilleures élèves de sa classe et fait preuve d’une grande vivacité d’esprit. A la question, « De quoi aurais-tu besoin pour mieux vivre aujourd’hui ? », Awa répond spontanément : « J’ai besoin de la connaissance ! »

Portrait de Awa

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2/ Les enfants non-handicapés & leurs parents

Selon le RGEH 2013, les principaux auteurs de discriminations sur les enfants handicapés sont par ordre d’importance les camarades (93,4%), le voisinage (60,2%), les parents (25,3%), et les encadreurs (7%). Les parents des enfants non-handicapés ne donnent pas le bon exemple et contribuent à la stigmatisation par les autres élèves.

Pourtant, lorsque les enfants non-handicapés sont sensibilisés, on constate qu’ils manifestent de l’empathie et de la solidarité à l’égard de leurs camarades handicapés. Ils constituent des aides précieuses pour les enfants non-voyants, aussi bien dans les salles de classe pour dicter ce qui est écrit au tableau, qu’à l’extérieur pour se déplacer.

On a pu observer que dans les écoles inclusives où les enfants entendants apprennent très tôt la langue des signes (comme au Centre EFFATA ou au CEFISE), ils constituent de véritables ponts avec le monde extérieur. Surtout, ces enfants entendants considèrent que maîtriser la langue des signes est une véritable chance pour eux car ils acquièrent « une connaissance supplémentaire qui leur sera utile car ils pourront aider les autres ».

A l’inverse, lorsque les enfants non handicapés n’ont pas été sensibilisés, leurs moqueries constituent souvent un motif de découragement et d’abandon pour les enfants handicapés qui intègrent les écoles ordinaires. Ces derniers regrettent alors leurs camarades et leurs enseignants dans leur ancienne école spécialisée.

3/ Les leaders politiques, religieux et les chefs coutumiers

Les leaders politiques, religieux et les chefs coutumiers exercent une grande influence dans leurs communautés. Ils peuvent jouer un rôle crucial pour la sensibilisation. Même si la religion — que ce soit l’islam ou le christianisme — encouragent à la bienveillance à l’égard des personnes handicapées, les pratiques des croyants sont parfois éloignées de cette ouverture.

En revanche, en ce qui concerne les questions de genre, certains leaders religieux et chefs coutumiers n’encouragent pas la scolarisation des filles car l’école dite « moderne » pervertirait les valeurs traditionnelles.

4/ Les OPH

Les OPH ont été des acteurs pionniers dans le champ de l’éducation inclusive. Elles ambitionnent d’élargir leur champ d’action au niveau du secondaire et de la formation professionnelle.

Les organisations de promotion de l’éducation inclusive ont anticipé les difficultés d’employabilité et d’insertion des enfants handicapés en développant des programmes de formation professionnelle complémentaires à ceux de l’école formelle. Elles regrettent le manque de centres de formation professionnelle et de débouchés pour leurs élèves.

Il existe une multiplicité d’acteurs de la société civile et religieuse qui coexistent, mais ne coopèrent pas. Ils partagent peu leurs expériences et restent confinés à deux types de handicap (cécité et problèmes auditifs).

Chacun tente d’apporter une aide, mais leurs actions restent isolées, malgré l’existence de plusieurs réseaux de coordination (REPEI, RENOH et FEBAH notamment) car ils souffrent de problèmes de leadership et de dissensions.

Les organisations de promotion de l’éducation inclusive sont aidées par des fondations et de ONG internationales mais leurs financements tendent à se réduire. Elles sont obligées de trouver de nouveaux partenaires et d’autres sources de financements.

5/ Les acteurs éducatifs


L’éducation est marquée par une carence quantitative et qualitative d’enseignants formés à l’approche inclusive, surtout dans les écoles publiques.

On constate pourtant que la formation porte ses fruits. L'équipe de recherche a rencontré des CCEB qui avaient été formés par HI et qui ont continué à être pro-actifs en développant des projets intéressants — comme organiser des consultations ophtalmologiques pour tous les enfants de la circonscription avec l’aide d’une ONG allemande OneDollarGlasses où les enfants ont pu avoir des lunettes gratuitement.


6/ Les institutions et les politiques publiques

D’une part, on observe que les progrès en matière de scolarisation des filles ont été permis grâce à des mesures spécifiques en matière de genre. D’autre part, le Burkina Faso dispose d’un appareil juridique et législatif assez complet en matière de handicap. Il reste cependant à être appliqué.

L’approche de HI repose surtout sur l’accompagnement des Comités Villageois de Développement (CVD), créés en 2006 dans le cadre de la modernisation de la gouvernance locale. Une commission communale pluridisciplinaire — rassemblant notamment des représentants du conseil municipal, de la CEB, des ministères de l’Action sociale et de la Santé, des AME, des APE et des OPH — est spécifiquement chargée d’identifier les enfants handicapées non-scolarisés.

Cependant, en pratique, on constate que ces commissions communales sont peu dynamiques. La volonté politique manque au niveau local car le handicap n’est pas une priorité.

D’après les membres de ces commissions, les enquêteurs manquent de moyens pour faire les visites dans les familles et identifier les enfants handicapés. Surtout, il semble très difficile de les identifier car les parents les cachent.

Au niveau de la DPENA, une subvention a été accordée aux enfants handicapés. Bien que cette initiative soit louable, elle reste limitée :

D'après un CCEB, « la Direction demandait à chaque CCEB d’établir un quota de 10 personnes bénéficiaires alors que nous avions identifié 300 enfants handicapés dans notre circonscription. Au final, la mesure était arbitraire et le montant de la subvention était faible — environ 15 000 francs CFA par enfant — et on ne sait pas ce que les parents ont fait de l’argent. »

Recommandations

Il est nécessaire d’avoir une double approche pour la promotion de l’éducation des filles handicapées, ce qui implique un meilleur accès et une meilleure qualité de l’enseignement pour tous les enfants ainsi que des programmes ciblés pour les filles handicapées en particulier. Pour planifier toutes ces politiques, il est urgent de combler le déficit de données sur le handicap et le genre.