ÉTUDE PAYS - NIGER


Échantillon et zones de l'étude

L’enquête de terrain a eu lieu principalement à Maradi et à Niamey. Cette configuration a permis d’approfondir la situation des filles handicapées, à la fois dans la capitale du Niger et en province, dans une région réputée conservatrice sur le plan religieux.

État des lieux de l’éducation inclusive au Niger

Le Niger reprend la dernière place au classement mondial (189ème sur 189) de l’Indice de développement humain (IDH). Le secteur de l'éducation au Niger est confronté à différents défis qui affectent les progrès déjà réalisés :

# La couverture de l’éducation primaire universelle et l’achèvement du primaire sont entravés par une forte croissance de la population, un faible taux de scolarisation et un taux d’abandon élevé.

# Les taux d’accès et d'achèvement sont encore moins bons au sein des groupes vulnérables, notamment les filles dans les zones rurales, les enfants de nomades et les enfants handicapés.

# Les chocs climatiques fréquents affectent également le secteur de l’éducation au Niger et le pays n’est pas épargné par la crise sécuritaire dans le Sahel qui conduit un nombre important d’écoles à fermer leurs portes.

# La situation des filles est particulièrement dramatique. Le Niger possède le taux brut de scolarisation dans le primaire le plus bas de la région (64,1%) et figure parmi les dix pays (3ème rang) où l’accès des filles à l’éducation demeure le plus faible au monde. Les filles restent en retard sur les garçons tout au long de leur scolarité. En 2015, seules 62,2% des filles avaient terminé l’école primaire, contre 75,5% des garçons ; le taux d’achèvement du premier cycle du secondaire s’élevait quant à lui à 13% pour les filles, contre 18% pour les garçons. Le maintien des enfants — garçons et filles — dans le système scolaire reste donc un défi majeur au Niger.

# Les enfants des ménages les plus pauvres n’ont quasiment pas de chance d’atteindre le second cycle du secondaire.

Bien qu’ayant ratifié avec des réserves la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) le 8 novembre 1999, le Niger a fourni depuis un certain effort pour intégrer les droits des femmes et des filles dans les politiques et stratégies éducatives nationales.

Le gouvernement a pris des engagements sur l’accès des filles à l’éducation en leur garantissant un accès gratuit à l’enseignement. Un décret a été adopté le 5 décembre 2017 portant sur « la protection, le soutien et l’accompagnement de la jeune fille en cours de scolarité ».

A travers ce décret, l’Etat nigérien s’engage, notamment à ouvrir des internats et des cantines, construire des toilettes séparées pour les garçons et les filles, attribuer des rations alimentaires et des bourses au mérite aux filles des ménages pauvres et des allocations aux filles vulnérables scolarisées dans le secondaire, notamment des transferts en espèces et en nature, etc.

Cependant, malgré l’intention politique annoncée, les moyens budgétaires ne sont pas alignés pour réaliser ces objectifs.


Le Niger a signé la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées (CDPH) en mars 2007 et l’a ratifiée le 24 juin 2008 en même temps que son protocole facultatif. L'analyse du cadre législatif et réglementaire montre que les textes existant en matière de promotion des droits des personnes handicapées ont évolué en leur faveur. Toutefois, la faible allocation des ressources et la faible connaissance de ces textes par les agents de l'Etat, les personnes handicapées et surtout par la population rend timide leur application.

Au Niger, il existe trois approches éducatives : spécialisée, intégratrice et inclusive.

L’État et les partenaires apportent un appui technique et matériel au fonctionnement des écoles spécialisées de Niamey, Zinder et Maradi pour les enfants aveugles et sourds. Cet effort s’est étendu à la création et au fonctionnement de classes intégratrices et inclusives à Konni, Tahoua, Agadez, Maradi et Zinder.

L’insuffisance d’écoles spécialisées pour les enfants handicapés et la faible prise en compte dans les écoles ordinaire de l’approche inclusive engendrent une faible couverture de leurs besoins éducatifs. Les structures éducatives spécialisées, intégratrices et inclusives qui existent ne couvrent qu’une minorité en zone urbaine.

Influence des croyances religieuses et populaires

dans l'éducation des filles handicapées au Niger

# Survivance de certaines coutumes présentant les personnes handicapées comme l’expression d’un châtiment divin ou le signe de la colère d’un mauvais génie (djinn).

# Les parents d’enfants non-handicapés croient parfois que les enfants handicapés « infecteront » la classe et ne veulent pas que leurs enfants fréquentent des enfants handicapés.

# D’autres considèrent une personne handicapée comme un objet de charité ou de pitié, plutôt que comme une personne méritant des droits égaux. La personne handicapée vit sans considération et la famille n’investit guère dans ses membres improductifs.

# La responsabilité du handicap incombe habituellement à la mère qui aurait commis certaines erreurs, telle que s’être déplacée au crépuscule (heure de sortie des génies malfaisants), ou marcher sur l’enfant d’un génie femelle dénommé Dogoua qui a l’habitude de s’attaquer aux foetus pour les déformer (régions de l’Arewa et de Maradi).

# Certains parents, principalement des mères, quittent complètement la communauté pour éviter la honte et la discrimination.

Les femmes enceintes évitent les personnes handicapées par crainte que leur enfant à naître ne soit contaminé.

FGD avec les associations, Maradi

D'après le Président de la FNPH, dans la communauté Songhay-Zarma comme celle des Touaregs, la personne handicapée est appréhendée avec compassion et fait même l’objet de sur-protection de la part de la famille afin de se préserver des critiques de la société. Par exemple, les aveugles ne savent pas s’habiller. La personne handicapée est quasiment cachée et n’est pas visible par les autres. Ce qui peut expliquer pourquoi on ne trouve pas de personnes handicapées parmi les mendiants à Adagez et à Diffa.

En revanche, à Maradi, Zinder et Tahoua, la situation est radicalement opposée. On exploite les enfants handicapés. On les bat pour qu’ils aillent chercher de l’argent. Les familles profitent d’eux.

A Dosso et à Tillabéry, ils ne sont ni sur-protégés, ni exploités. Ils sont considérés comme les autres et font du travail champêtre. L’enfant handicapé ne mendie pas là-bas.

A Niamey, c’est un carrefour où l’on trouve toutes les situations.

Les personnes handicapées physiques sont généralement moins stigmatisées que les personnes souffrant d’une déficience sensorielle, les personnes albinos, et les personnes atteintes de la lèpre et de troubles psychologiques ou neurologiques, qui sont mis à l’écart.

D’après l’étude réalisée par l’UNICEF, les signalements de parents cachant des enfants handicapés dans leur maison étaient très répandus, de même que la négligence et la marginalisation par d’autres membres de la famille. Ils n’incluent pas leurs enfants handicapés dans les chiffres des enquêtes auprès des ménages et n’établissent pas d’actes de naissance.

Les personnes atteintes d’hystéries ou de crises de démence sont rejetées car on les croit habitées par des mauvais esprits et potentiellement dangereuses.

Les enfants tétraplégiques appelés « enfants-serpents » vivent souvent dans un état de saleté et d’isolement pitoyable. On attribue un certain nombre de pouvoirs surnaturels aux aveugles.

Certaines études montrent que la stigmatisation n’est pas seulement associée au handicap mais aussi au genre, et que les filles handicapées sont doublement défavorisées. Les filles souffrant de handicaps lourds sont plus susceptibles d’être abandonnées ou tuées à la naissance et elles ont des taux de mortalité plus élevés que leurs homologues masculins.

Il y a cette croyance ici : celui qui couche avec une déficiente mentale et s’il n'a pas été découvert, devient riche.

FGD avec les leaders religieux, Maradi

Les familles cherchant tous les moyens pour résoudre les problèmes de santé de leurs enfants deviennent sensibles aux histoires de « guérisons miracles ». Dans les cas que nous avons rencontrés, les parents vont souvent consulter en premier lieu — et parfois exclusivement — des marabouts, des guérisseurs traditionnels ou des tradi-praticiens mais au final, l’état de l’enfant handicapé s’est généralement aggravé, comme dans le cas de Sarah, 17 ans, non-scolarisée, qui s’occupe des travaux ménagers et mendie pour subvenir aux besoins de la famille :

« Mon problème, c’est au niveau du bras et du pied droit qui sont déformés, depuis l’âge de 2 ans. Selon ma maman, c’était une nuit après avoir joué toute la journée. Un génie est sorti pendant mon sommeil, j’ai poussé un cri… et je me suis retrouvée comme ça. Le matin, mes parents ont remarqué que ma main et ma jambe ne marchaient plus. Ils ont pensé à une blessure. Ils m’ont amené chez le guérisseur qui leur a dit qu’il n’y avait pas de blessures. Nous sommes rentrés à la maison et on a continué le traitement traditionnel : des incantations et de la fumée pour chasser les mauvais esprits, mais ça n’a pas marché. Mes parents ont décidé de faire le traitement traditionnel car les voisins leur ont dit que ce n’était pas une maladie médicale et que ce n’était pas la peine d’aller voir un médecin à l’hôpital ».

Au Niger, la population est à 98% musulmane. A Maradi, la capitale économique du Niger située à la frontière avec le Nigéria, la population est réputée pour être particulièrement conservatrice sur le plan religieux. Aux yeux des parents, la fréquentation de l’école coranique est considérée comme un atout pour l’insertion des jeunes dans une communauté fondée sur les valeurs de l’Islam, tandis que certains voient d’un mauvais oeil l’école laïque, « l’école des Blancs ». Craignant que les filles scolarisées n’aillent à l’encontre des coutumes et des normes sociales traditionnelles, certaines familles préfèrent ne pas envoyer leurs filles à l’école ordinaire mais à l’école coranique, et elles y resteront moins longtemps.

La perception traditionnelle du rôle des filles détermine non seulement la décision de les inscrire à l’école, mais aussi la période de temps durant laquelle elles y demeurent. Dans certains milieux, pour atteindre cette fin, on leur impose de se marier très tôt.

Certaines études ont identifié le facteur religieux comme une des principales barrières à la scolarisation des filles. L’islam serait peu favorable à la scolarisation des filles. Pour le directeur régional de la Population à Maradi, il est crucial de sensibiliser les leaders religieux musulmans aussi bien aux inégalités de genre qu’au handicap car ils ont une influence importante auprès des familles :

« La discrimination des filles face à l’éducation persiste malgré les efforts du gouvernement et des partenaires. Le problème, c’est la sous-scolarisation des filles et leur maintien à l’école. Le goulot d’étranglement se situe au niveau religieux. Lors d’un atelier régional avec les leaders religieux, ils ont fermement affirmé que la sous-scolarisation n’était pas un problème car l’objectif de l’école (occidentale), selon eux, est de réduire la fécondité, et ils s’y opposent. Pour eux, l’école est un lieu de débauche. S’ils sont déjà réticents à envoyer les filles non-handicapées à l’école, imaginez pour les filles handicapées ! C’est décourageant ! ».

Lors des FGD, les leaders religieux et coutumiers ont insisté sur le fait que la religion, que ce soit l’islam ou le christianisme, acceptaient tout le monde et que les personnes handicapées étaient des « dons de Dieu ». Les leaders musulmans ne s’opposaient pas fermement à l’éducation des filles handicapées mais ils privilégiaient tout de même l’école coranique.

Parmi les enfants handicapés rencontrés, tous allaient au moins à l’école coranique — sauf Sarah et Miriama, non-scolarisées — en parallèle de leur école ordinaire ou spécialisée. Ils ont pour la plupart commencé par l’école coranique par souci des parents qu’ils acquièrent une éducation islamique mais aussi parce que les parents ne savaient qu’ils pouvaient les inscrire dans une école ordinaire ou spécialisée.


L’accompagnement des médersas en éducation inclusive: un enjeu important

Les enseignants des médersas ne sont généralement pas formés en langue des signe, en braille ou sur la prise en charge de la déficience intellectuelle, et ne savent pas identifier les différents types de handicap. Dans une même classe, ils doivent gérer tous les types de handicap en même temps.

Sur la photo 1 : la médersa Bagalam 3 — une zone où HI n’intervient pas — située dans le « quartier des lépreux ». Certaines classes sont en paillote et les enfants étudient à même le sol. L’enseignante de cette classe était absente ce jour-là. Les enfants attendaient.

Sur la photo 2 : Zaria 2, cette médersa franco-arabe a plus de moyens. Malgré tout, la maîtresse de cette classe de CE1 doit s’occuper d’une quarantaine d’élèves, dont 6 enfants handicapés (5 filles et 1 garçon présentant des déficiences visuelles, auditives, intellectuelles, physiques, et un bec de lièvre).

L'école des Soeurs de Tibiri

L’école des Soeurs de Tibiri accueillent également des enfants handicapés — même les familles musulmanes — et paient tous les frais de scolarité des plus démunis. L'école catholique prend en charge des enfants avec une déficience intellectuelle et physique mais « pas d’autres handicaps car nous ne savons pas faire », explique le directeur de l’école, un enseignant à la retraite, d’origine musulmane, qui a reçu plusieurs formations en éducation inclusive à travers l’église catholique. L’école dispose d’un bus de ramassage scolaire, d’une cantine, d’un jardin et d’un espace pour le sport. Les soeurs organisent également des campagnes de sensibilisation pour convaincre les parents de scolariser les filles.

Les discriminations liées à l’intersectionnalité


Genre & Handicap

Les facteurs socio-culturels et socio-économiques interviennent de manière significative dans les décisions familiales de ne pas envoyer les filles à l’école ou les retirer. Les familles et des communautés vont favoriser le plus souvent les garçons au détriment des filles, entraînant des différences d’opportunités et de résultats sur le plan de l’éducation.

Certains parents « craignent de ‘gaspiller de l’argent’ en instruisant les filles car elles risquent de tomber enceinte ou de se marier avant la fin de leurs études ». Il est généralement considéré que les filles, une fois mariées, font partie d’une autre famille, de ce fait, tout investissement parental sur les filles est perdu. De plus, envoyer les filles à l’école risque d’être une entrave au mariage à cause des idées répandues sur les filles instruites. C’est pourquoi les parents ne veulent pas laisser leurs filles trop longtemps à l’école. Ainsi, les espérances socio-culturelles des filles et la priorité donnée à leur rôle futur d’épouse et de mère ont un impact fortement négatif sur leurs possibilités d’instruction.

La décision de faire instruire une fille dépendra des bénéfices économiques et sociaux perçus par les parents et les personnes dans leur environnement immédiat. Envoyer les filles à l’école entraîne pour les familles des coûts directs et d’opportunité prohibitifs, surtout pour les familles pauvres et rurales car elles perdent une main-d’oeuvre importante pour les activités agro-pastorales ainsi que pour les activités économiques et domestiques du foyer.

Mais d’après la Direction Régional de l’Enseignement Primaire, « cette mentalité est en train de changer. Il y a presque autant de filles que de garçons scolarisés maintenant ».

Les établissements ne sont pas payants, mais les parents se plaignent que le coût des uniformes, des frais de garde, du transport et des déjeuners, ainsi que les coûts de renoncement au travail domestique de leurs filles sont trop élevés par rapport à ce que leur apporte l’école. Sous l’effet des contraintes financières, ce sont les filles plutôt que les garçons qui ne vont pas à l’école ou qui en sont retirées.

Mais les parents considèrent le coût d’opportunité pour la scolarisation des filles handicapées encore plus élevé en raison de la perte économique que cela représente car elles contribuent activement à la survie économique du foyer à travers la mendicité et participent aussi aux tâches domestiques, comme dans le cas de Sarah.

« J’aurais aimé aller à l’école. Maintenant, je mendie. Ça dépend des jours, je gagne entre 400 et 1 000 FCFA. Avec cet argent, je contribue pour la famille. Nous sommes 5 enfants, je suis la troisième. Ma maman a eu 2 enfants avec son premier mari. Je suis la seule qu’elle a eu avec mon papa, puis elle a eu deux autres enfants avec son troisième mari. Il ne travaille pas. A la maison, je fais la cuisine, je balaye la cour, je fais tous les travaux ménagers. Je travaille plus que les autres, c’est moi qui fais tout. Mes frères et mes soeurs vont seulement à l’école coranique. Moi, je n’y vais pas. »

D’après le directeur de l’école pour les enfants sourds à Maradi :

« Les parents ne voient pas l’utilité d’envoyer leur fille handicapée à l’école. C’est souvent la mère qui la retient à la maison pour les travaux ménager. Elle raisonne en fonction de ses propres intérêts. Sinon, les parents l’envoient mendier car ils pensent qu’ils gagneront plus comme ça qu’en étudiant. En plus, on est à Maradi, une ville de commerçants. Les gens pensent que ça ne sert à rien d’étudier. »

Être une fille est déjà un handicap. Être handicapée est un deuxième handicap et ne pas être scolarisée constitue un troisième handicap.

Directeur de l’Ecole pour les Sourds à Maradi

Les filles handicapées sont moins scolarisées que les garçons handicapés

On constate que parmi les familles les plus pauvres, les garçons handicapés seront plus fréquemment envoyés à l’école par rapport aux filles handicapées, et parfois même par rapport aux filles non-handicapées, comme dans le cas de Miriama.

Miriama

20 ans, non-scolarisée, Maradi

Je ne suis jamais allée dans aucune école. Tout ce que je fais, c’est mendier. J’ai commencé à mendier à l’âge de sept ans. En ce temps-là, c’est ma grande sœur qui me portait sur son dos pour aller mendier. Elle n’est jamais allée à l’école non plus. Nous sommes quatre dans la famille. Mon petit frère est aussi handicapé locomoteur. Lui, va à l’école. Avant nos parents n’inscrivaient pas les enfants handicapés à l’école, mais maintenant, ils ont été sensibilisés par les ONG qui disent que les enfants handicapés ont le droit d’aller dans les écoles comme tout autre enfant.

Les discriminations liées à l’âge


La variable « âge » intervient très souvent en aggravant la discrimination à l’encontre des filles handicapées par rapport aux garçons handicapées, notamment à cause de la différence de traitement du genre liée à la puberté.

A cause de leur handicap, les enfants sont amenés à s’inscrire tard à l’école. Dans certains cas, les enseignants refusent d'inscrire des enfants considérés comme trop âgés pour commencer l’école primaire. Les enfants handicapés peuvent être inscrits à l’école jusqu’à l’âge de 12 ans. Selon les OPH, « si la fille handicapée commence l’école à 12 ans par exemple, à la fin du primaire, elle a 18 ans. Elle aura peu de chance de continuer en secondaire ». Pourtant, grâce à une école « passerelle », une école de la seconde chance, certains enfants handicapés ont pu intégrer une école ordinaire malgré leur âge avancé. C’est le cas de Yahanazou, une jeune fille albinos de 19 ans qui a pu être intégrée en classe de CM1 à l’école Sabongari 3, une école publique soutenue par HI.

Les acteurs éducatifs remarquent que lorsque le garçon handicapé a des mauvais résultats, les parents vont plutôt le faire redoubler alors que si c’est le cas pour la fille handicapée, les parents vont la retirer de l’école afin de diminuer les dépenses.

Mais les filles peuvent aussi abandonner l’école d’elles-mêmes parce qu’elles sont découragées ou pour obéir aux parents. L’échec scolaire des filles handicapées peut s’expliquer par le fait qu’elles soient moins valorisées et encouragées.

Yahanazou

19 ans, en CM1 à Maradi

J’ai 19 ans mais on a diminué mon âge à 16 ans pour m’inscrire à l’école. C’est cette année qu’on m’a amenée ici à Sabongari 3, après avoir fait un an à l’école de l’ONG Salsani. C’est ma maman qui a appris qu’il y avait des enfants en âge avancé qui étudiaient dans leur école. Elle m’a demandé si je voulais y aller et elle m’a emmené. J’ai fait les cours pour adultes pendant trois mois puis j’ai appris le français pendant six mois. Mon premier bulletin, j’ai eu 9 de moyenne et le deuxième, 8,66 ! Je n’ai pas eu de problème pour m’intégrer dans cette nouvelle école. Elle n’est pas loin de la maison. Je n’ai aucun problème avec les enfants ici, c’est seulement les petits qui jouent avec moi et je ne fais pas attention à eux. Le seul problème, c’est quand on écrit au tableau, je vois les écritures très petites. Je suis toujours la dernière à recopier ma leçon. Généralement, je prends le cahier des amies pour recopier. Mais un jour ces élèves vont refuser de me donner leurs cahiers parce que ça va les fatiguer.

Portrait de Yahanazou

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Abandon scolaire

C’est en fin de cycle primaire (classe de CM2) où le passage en classe supérieure est conditionné par la réussite à l’examen d’entrée en sixième que plus d’un élève sur trois abandonne l’école. Les enfants handicapés et les filles en particulier, sont plus concernées par l’abandon scolaire. Nous avons interrogé des filles en formation professionnelle. Nous avons constaté qu’elles ont souvent abandonné de leur propre chef, à cause de l’aggravation du handicap et d’un environnement scolaire et familial hostile : moqueries des camarades, problème d’accessibilité (rampes, toilettes, tableaux trop hauts, lumière faible), de transport et de soutien éducatif aussi bien au niveau des enseignants qu’à la maison.

La directrice de l’Ecole Soli à Niamey pour les jeunes aveugles constate que les filles abandonnent plus que les garçons car elles doivent s’occuper de leur famille.

« Je me souviens d’une fille non-voyante brillante qui a dû arrêter les études car son père est tombé malade. Au cours d’une de nos enquêtes sociales, nous l’avons retrouvée. Ses deux parents mendiaient et elle aussi. Dès que les enfants commencent à mendier, c’est fini. On ne peut plus les récupérer. Il faut sensibiliser les parents ! »

Des abandons très précoces sont également relevés en classe de CI par le directeur de l’Ecole pour Sourds de Maradi :

« On a compté 9 abandons cette année : 7 garçons et 2 filles, surtout au CI et au CP. En fait, les enfants sont découragés par l’apprentissage et l’école est trop loin pour les parents qui sont fatigués ou n’ont plus les moyens de les accompagner à l’école. Si on arrive à maintenir les enfants au-delà du CE2, c’est rare qu’ils abandonnent jusqu’à la fin du cycle. »

Au Niger, les enfants sont souvent au cœur des stratégies de survie que développent les ménages face à la pauvreté et à la vulnérabilité. Cela se matérialise par leur enrôlement précoce dans le marché du travail qui les expose souvent à des conditions de vie et de travail précaires dès leur plus jeune âge.

L’exploitation du travail des enfants est un phénomène très répandu au Niger, même pour les petits enfants et pour certains enfants issus des familles riches. Les garçons et les filles sont tous deux affectés par le phénomène.

Dans cette étude, on observe que malgré leur handicap, les enfants — aussi bien les garçons que les filles — participent aux travaux ménagers et aux activités économiques du foyer.

Cependant, lorsqu’ils sont scolarisés ou qu’ils possèdent un handicap sévère, ils travaillent moins que les autres enfants non-handicapés.

« A la maison, j’aide à faire le ménage, je lave les assiettes je balaye et je pars amener le grain au moulin. Ce n’est pas très difficile. Il y a des choses que je ne sais pas faire. Par exemple, quand on me demande de faire le feu, les yeux me grattent. Dès que je m’approche du feu, j’ai mal aux yeux, et si je quitte, je me sens mieux. » (Fatimatou, 9 ans, mal-voyante, Médersa Bagalam 3)

« A la maison, je lave les tasses, je balaye la maison, je prends de l’eau du robinet pour amener à la maison. Ma grande sœur travaille plus que moi à la maison. Elle m’aide aussi dans les exercices. On l’a mise dans une autre école car elle est très bonne. » (Yazia, 11 ans, troubles mentaux et du langage, Zaria 11)

« J’ai perdu mon père. Il était commerçant, il vendait des matelas et maman, elle fait la couture. Depuis que papa est décédé, c’est maman qui fait tout. J’aide, je fais la cuisine, la vaisselle, je balaye la maison quand il y a de l’ombre. Je ne travaille pas beaucoup par rapport aux autres car s’il y a un travail où il faut aller sous soleil, c’est eux qui le font. » (Yahanazu, 19 ans, albinisme, Sabongari 3).

Le mariage précoce et/ou forcé affecte la grande majorité des filles nigériennes. Le Niger possède le taux de prévalence le plus élevé de mariage précoce en Afrique de l’Ouest. Une jeune fille âgée de 15 à 19 ans sur quatre (25%) se marie avant d’atteindre l’âge de 15 ans et plus de trois quart des femmes (77%) se marient avant d’atteindre l’âge de 18 ans.

Les mariages précoces aboutissent le plus souvent à des grossesses précoces et à des maternités rapprochées constituant ainsi un obstacle majeur pour la scolarisation des filles. La fécondité des femmes nigériennes demeure élevée en 2015, soit 7,3 enfants par femme. Elle est plus élevée en milieu rural qu’en milieu urbain. La fécondité des adolescentes est spécifiquement très importante. 44% des femmes de 15-19 ans sont soit enceintes d’une première naissance, soit mères d’au moins un enfant en 2015.

Certains parents préfèrent le mariage à l’école pour leurs filles pour une question d’honneur et de conviction religieuse car ils veulent éviter tout risque de grossesses hors mariage. Le mariage précoce est responsable de 30% des abandons scolaires des filles au Niger.

Toutefois, on observe toutefois une baisse de la précocité de l’entrée en union par rapport à 2012. Les campagnes de sensibilisation et le durcissement de la loi semblent porter leurs fruits.

En ce qui concerne les filles handicapées, celles-ci sont moins concernées par le mariage précoce que les filles non-handicapées car elles ont plus de mal à se marier. Elles sont néanmoins retirées de l’école à l’approche de la puberté afin de les protéger d’une grossesse hors mariage considérée comme honteux.

On a l'habitude de dire ici que si une fille handicapée est issue d’une famille riche, elle va trouver un mari normal. Mais si elle est pauvre et non éduquée, on va plutôt la marier à un homme âgé.

FGD avec les associations, Maradi

Généralement, on donne la fille handicapée en mariage aux grands marabouts, comme une sorte d’aumône, sans payer la dot et sans rassembler de trousseau.

FGD avec les associations, Maradi

Lorsque les enseignants tentent de dissuader les parents de marier leur fille, celle-ci est envoyée dans un autre village sous prétexte de l’inscrire dans une autre école. En réalité, on la marie.

Directeur d'école à Maradi

Facteurs aggravants

Pauvreté et Lieu de résidence

Les enfants handicapés, souvent abandonnés aux grands-parents

Au cours de l'étude, l'équipe de recherche a rencontré de nombreux cas où les parents d’enfants handicapés ont divorcé après que le père ou la mère a quitté le foyer à cause du handicap de l’enfant. Dans le cadre d’un remariage polygame, on a pu observer que les enfants handicapés étaient souvent abandonnés aux grands-parents. C’est le cas de Habsatou, 13 ans, en CE2 à l’école Diori à Maradi. Elle est brillante mais la poursuite de sa scolarité est compromise car sa famille n’a plus les moyens de soigner ses problèmes de santé.

Habsatou

13 ans, en CE2 à Maradi

J’habite chez ma grand-mère parce que je suis malade. Quand j’étais en première année à l’école, mon papa a décidé de m’amener à Niamey pour la consultation de mes jambes et de ma gorge, mais avant notre retour de Niamey, mon papa est décédé. Ma mère s’est remariée et elle est partie avec mes trois frères, sans moi…

A l’école, je ne sors même à la récréation. Pas à cause des élèves mais parce que je n’ai pas d’argent pour le goûter. Ma grand-mère me donne 100 ou 50 FCFA par jour pendant quelques jours, et après elle dit « l’argent est fini ! » Ce sont mes oncles qui nous envoient de l’argent à moi et à ma grand-mère. Ma mère m’envoie un peu d’argent mais pas beaucoup.

Les personnes handicapées les plus pauvres peuvent être davantage stigmatisées que les personnes handicapées les plus favorisées sur le plan économique. Dans ce cas, le genre devient secondaire : par exemple, une fille handicapée issue d’une famille riche aura plus de chance d’aller à l’école et d’y rester qu’un garçon handicapé pauvre et qu’une fille non-handicapée pauvre.

La préoccupation principale des acteurs rencontrés est l’exploitation des enfants handicapés due à la paupérisation des ménages.

D'après le Secrétaire Général de la Mairie de Maradi 1 et la chargée aux affaires sociales :

« L’éducation des enfants handicapés, c’est surtout un problème de pauvreté. On ne peut pas séparer la question du handicap et celle de la pauvreté. Les familles pauvres, elles me disent "On a compris qu’il fallait envoyer nos enfants à l’école mais on n’a pas les moyens, on cherche de quoi manger !" Un autre parent m’a dit un jour "Avant, il me faisait 2 500 francs par jour (en mendiant). Maintenant, il ne me fait plus rien depuis qu’il est avec vous !" »

Les OPH constatent que les enfants handicapés finissent souvent par devenir mendiants et les enfants des personnes handicapées servent de guide. Les enfants constituent une source de revenus importante pour les familles. Aujourd’hui encore, l’écrasante majorité des personnes handicapées survivent grâce à la mendicité. La mendicité concerne aussi bien les filles que les garçons handicapés.

Au Niger, l’image de la personne handicapé est fortement associée à la mendicité dans les mentalités. La mendicité est un fait social en ce sens qu’elle est générée et entretenue par la société et la famille qui confèrent d’office à la personne handicapée le statut de mendiant qui rapporte des ressources. La personne en situation de handicap n’est plus un objet de compassion de la part des autres membres de la famille, mais un agent économique qui voyage comme les migrants pour accumuler de la richesse en utilisant sa situation de handicap.

Certains personnes handicapées lettrées qui connaissent le Coran obtiennent une forte considération sociale et peuvent, par là-même, récolter des gains importants. Dans certains cas signalés, des personnes handicapées ont migré du village à la ville, puis à la capitale ; il y a des cas où la migration s’est faite vers d’autres pays de l’Afrique occidentale, centrale, voire d’autres continents.

La mendicité est une infraction au Code pénal, mais elle est rarement sanctionnée. Toutefois, un marabout a récemment été inculpé et condamné pour avoir obligé une douzaine d’enfants handicapés à mendier, y compris au Nigéria. La mendicité se mue alors en traite. D’après la directrice régionale de la Protection de la Femme et de l’Enfant:

« La pauvreté est au cœur du phénomène de la traite. Les enfants sont envoyés par les parents après la récolte auprès d’un marabout pour apprendre le Coran. En fait, ils sont obligés de travailler. La plupart du temps, le marabout les emmène dans les centres urbains pour mendier. Des cas de traite transfrontalière vers le Nigéria et le Gabon ont été rapportés. »

Les enfants n’ont appris que la mendicité. La société les a formaté. Mendier est devenu un commerce. Les personnes handicapées gagnent plus en mendiant qu’en travaillant.

FGD avec les OPH, Maradi

On le voit aussi très fréquemment chez les élèves. Ce sont les parents qui les envoient mendier le vendredi.

FGD avec les OPH, Maradi

Le manque et le coût du transport constitue une des causes principales d’abandon car les écoles spécialisées et des structures d’éducation inclusive sont principalement localisées dans les grands centres urbains.

« Le déplacement est trop coûteux, surtout quand l’enfant cumule plusieurs handicaps. Presque tous les enfants handicapés non-scolarisés vivent en périphérie. Certains parents font l’effort d’amener l’enfant à l’école mais quand ils sont en déplacement, personne ne les prend en charge. » (Le Secrétaire Général de la Mairie de Maradi 1 et la chargée aux affaires sociales).

« Même lorsque les parents ont pu bénéficier d’une bourse du Ministère de la Population pour payer les frais d’inscriptions, le transport et la cantine restant à leur charge, ils ont arrêté d’emmener l’enfant car les frais de transport coûtaient trop cher. Le déplacement constitue le principal problème pour les parents. Il faudrait un bus de ramassage scolaire. » (Directeur du Pelican, un centre pour les déficients intellectuels).

« Le transport est la principale cause d’abandon dans notre école. Cela coûte trop cher pour les parents. On constate que si l’école a une cantine, le taux de scolarisation augmente car ça motive les parents. Nous avons proposé à la mère d’un enfant de le nourrir à midi. Elle voulait vraiment le scolariser mais au bout de quelque temps, elle a abandonné, c’était trop loin. Il faudrait un bus de ramassage scolaire mais nous ne sommes jamais arrivés à en avoir un. » (Directeur de l’école pour Sourds de Niamey)

Les problèmes de logement pour scolariser les filles handicapées

Le lieu de résidence a un impact important sur la scolarisation des enfants handicapés. Les écoles spécialisées se trouvent uniquement dans la capitale, à Niamey, ou dans les grandes villes de province comme Maradi ou Zinder, tandis que les écoles primaires ordinaires en milieu rural sont souvent très éloignées de leur maison. En ce qui concerne le second cycle, peu de communes rurales possèdent leur propre école secondaire et il n’existe pas d’internats à proximité. Les parents doivent alors envoyer leurs enfants handicapés dans la ville voisine et assumer les frais de transport et de logement. Souvent, les élèves habitent dans la famille ou chez des amis, mais les parents hésitent à laisser leurs filles sans surveillance adéquate pour des raisons de sécurité et de protection. Les familles rurales vont plutôt envoyer un garçon handicapé étudier en ville qu’une fille handicapée. C'est de le cas d'Abdoul Rachid, qui est en CE2 à l’école Sabongari 1 — une zone où HI n’intervient pas. Il a un handicap locomoteur au niveau de ses membres inférieurs et supérieurs mais il n’a pas de tricycle pour se déplacer. Il va à l’école en ville grâce à sa tante qui l’héberge et s’occupe de lui.

Abdoul Rachid

En CE2 à Maradi

Selon mes parents, c’est suite à une injection que je suis devenu comme ça. Je n’ai rien pour me déplacer. Je vais à l’école comme ça. Heureusement, j’habite chez ma tante, de l’autre côté du goudron. Mes parents sont cultivateurs, ils n’habitent pas ici, ils sont au village. Il y a une école là-bas mais elle est très loin de la maison. Un jour, ma tante était de passage au village et elle a décidé de m’amener ici pour étudier. Elle a une boutique. Elle m’a acheté une fois un tricycle mais il était trop grand pour moi. On l’a revendu avant que je sois inscrit dans cette école.

Spécificités liées au type et au degré du handicap


Selon les OPH, les différents types de déficience, sa gravité ainsi que la façon dont elle a été acquise entraînent des niveaux de stigmatisation différents. Les enfants avec un handicap physique, en particulier ceux qui peuvent encore se déplacer sans aide ou qui ont des aides à la mobilité, sont les moins discriminés, principalement parce qu'ils sont perçus comme potentiellement indépendants. Les enfants qui ont des déficiences sensorielles (en particulier de surdité), intellectuelles et mentales font l’objet d'une discrimination extrême. Ils sont souvent considérés comme impossibles à éduquer. Ils vont rarement à l'école et sont souvent cachés chez eux. La plupart du temps, il n’existe pas de solutions pour les handicaps sévères. Les parents n’essaient même pas de scolariser leurs enfants. Beaucoup n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants dans une école spécialisée ou privée, surtout s’ils vivent en zone rurale, et la très grande majorité des écoles publiques ordinaires ne sont pas en capacité de les accueillir.

La déficience auditive

Pour l’ensemble du pays, il existe seulement trois écoles spécialisées pour les enfants déficients auditifs à Maradi, Zinder et Niamey et quelques classes intégratrices dans des écoles ordinaires à travers les projets de HI. Leur capacité d’accueil sont très limitées et certains enfants viennent de loin. Dans les écoles spécialisées, les élèves sont peu par classe (une dizaine) et bénéficient d’un enseignement de meilleure qualité car les enseignants sont formés à la langue des signes. Faute de moyens, l’école est obligée de refuser beaucoup d’enfants. Les enfants sont bavards, se sentent en sécurité et bien dans leur école. Ils aimeraient aller au collège l’année prochaine mais les établissements secondaires ne sont pas adaptés pour les accueillir car aucun enseignant ne maîtrise la langue des signes.

L’inclusion ne veut pas dire accepter tous les enfants sans avoir les moyens ou sans former les enseignements correctement. Parce que comme ça, on fabrique aussi de l’exclusion.

Directeur de l’Ecole pour Sourds de Maradi

D'après les OPH, les personnes sourdes ont plus de mal que les personnes aveugles à poursuivre et réussir leurs études. Elles se voient limitées au second cycle du secondaire faute d’interprètes professionnels en langue des signes, elles lisent sur les lèvres.

Selon le directeur de l’Ecole pour Sourds à Maradi :

« Les élèves sourds sont mal-évalués au Bac. Ils échouent souvent. Ils se réorientent vers la formation professionnelle ou les meilleurs vont au Burkina Faso pour poursuivre leurs études. Les enfants sourds ont surtout des problèmes en littérature et en philosophie à cause de la syntaxe liée à la construction de la langue des signes ; les verbes manquent car la langue est orale.

Par contre, ils n’ont pas de problèmes en sciences, comme les élèves aveugles qui sont dispensés de maths dès la 5ème. Il faudrait également adapter les épreuves au Bac pour les enfants sourds et remplacer par exemple l’épreuve de la dissertation par une autre épreuve plus adaptée.

Certains enfants sourds ont de bons résultats en primaire et tentent le secondaire mais on observe qu’ils reviennent dans leur ancienne école car ils ne sont pas suivis. Il n’y a pas d’enseignants formés. En plus, les enfants ont des comportements violents car ils sont trop grands. »

L’enseignement semble bien fonctionner dans les classes intégratrices des écoles publiques ordinaires soutenues par HI. Grâce à des enseignants bien formés, une pédagogie adaptée (usage de jeux de rôle par exemple, voir vidéo) et une présence physique au coeur de l’école, ce système permet de donner les bases en langues des signes à des enfants déficients auditifs de différents âges, et de les intégrer par la suite dans des classes ordinaires, dans la même école. A Diori, l’enseignant de la classe intégratrice est lui même mal-entendant, il a été formé par le directeur de l’Ecole pour Sourds de Maradi. Le système est encore trop récent pour évaluer l’intégration dans les classes ordinaires des élèves passées par les classes intégratrices.

La déficience visuelle

La directeur de l’Ecole Soli pour jeunes aveugles à Niamey confirme que « les enfant déficients visuels peuvent aller loin dans les études, jusqu’à l’ENA parfois. Certains reviennent enseigner chez nous ». L’école a été créée en 1979. Elle dispose d’une cantine et d’un internat d’environ 60 lits pour les garçons et les filles.

« Dès le CE2, si les parents et les enfants déficients visuels sont d’accord, ils peuvent intégrer une école ordinaire. Une voiture de L’UNAN ramasse les copies et l’association retranscrit les devoirs, il y a beaucoup de retard. Mais on ne peut pas envoyer des enfants non-voyants dès le CI directement dans une classe ordinaire, sans enseignants formés au braille. Ils vont perdre leur temps et revenir ici. Il vaut mieux que l’enfant obtienne d’abord des bases solides en braille pendant plusieurs années dans une classe spécialisée, puis il pourra être intégré plus tard dans une classe ordinaire, épaulé par un enseignant itinérant. C’est notre objectif. En revanche, l’Etat pourrait former plus d’enseignants en braille car on peut apprendre le braille en un mois seulement. Et on peut les former. »


A l’école Ceinture verte et à l’école Centre-Barreti à Maradi, il existe des classes intégratrices (CI, CP, CE1) où les enfants déficients visuels apprennent le braille. Ils sont ensuite intégrés à partir du CE2 dans des classes ordinaires dans la même école. Un enseignant itinérant circule dans les classes pour épauler l’enseignant.

Ce système semble fonctionner. Malheureusement, les classes sont surchargées, tous les enseignants ne sont formés au braille dans l’école et ils n’ont pas le matériel pédagogique adapté en sciences par exemple.

La déficience intellectuelle

Le comité des droits des personnes handicapées a constaté des lacunes s’agissant de l’inclusion dans la société des personnes ayant un handicap intellectuel et psychosocial. La délégation du Niger a annoncé la mise en place d’un programme de santé mentale visant à lutter contre les indices d'invalidité provoquant des incapacités, à fournir des soins et à assurer l’inclusion sociale. Un comité intersectoriel sur la santé mentale a également été mis en place. Pourtant, la prise en charge des enfants avec une déficience intellectuelle reste problématique.

L'équipe de recherche a visité l’école Diori à Maradi qui est soutenue par HI. Le directeur a présenté un jeune garçon avec une déficience intellectuelle qui a été intégré dans une classe ordinaire. « Quand il est arrivé, il était sale, il bavait et il ne pouvait même pas s’exprimer. Aujourd’hui, il est propre, et en plus, il est capable de chanter l’hymne national et d’aller chercher des choses. Il a fait des progrès remarquables en étant socialisé avec les autres enfants. »


Pelican est une des rares organisations à prendre en charge les enfants avec un handicap intellectuel et psychosocial. Son directeur déplore le manque de moyens pour accompagner ces enfants qui sont délaissés par leur famille. Créé en 2001, le centre est constamment au bord de la fermeture.

« Cette année, on accueille 23 enfants. Presque tous les enfants viennent des écoles ordinaires. Ils ont été chassés et moqués. Notre objectif est de les prendre en charge individuellement, puis de les renvoyer vers une école ordinaire mais il reste le problème des cas lourds, des poly-handicapés. Les enseignants ne peuvent pas les gérer. Ils ne peuvent pas sacrifier tout leur temps pour un enfant ! Pourtant, si on s’occupe bien d’eux, ils regorgent d’amour. Une fille avec une trisomie 21 pourrait bien travailler et s’occuper de garder les enfants. » (Directeur du Pelican, Niamey)



Les violences basées sur le genre et les enjeux de protection liés à la fille handicapée


L’étude de l’UNICEF a mis en lumière le niveau alarmant des violences sexuelles au Niger et qui ont lieu le plus souvent au sein-même de la famille. Alors que les filles et les femmes handicapées subissent différentes formes de violence, celles-ci ne sont pas considérées comme sexistes dans la mesure où leur handicap masque leur genre. La violence faite aux femmes et aux filles handicapées ne constitue pas une sous-catégorie de la violence sexiste : c’est une catégorie transversale croisant la violence fondée sur le genre et le handicap. La confluence de ces deux facteurs entraîne un risque extrêmement élevé de violence à l’égard des femmes et des filles handicapées.

Les filles avec une déficience mentale et les filles albinos sont particulièrement vulnérables aux violences physiques et sexuelles en raison des croyances magiques qui les entourent affirmant qu’avoir une relation sexuelle avec ces femmes ou posséder certaines parties de leur corps constituent une source de richesse. De plus, les filles handicapées sont souvent considérées comme des êtres asexués. Alors que certains pensent que des rapports sexuels avec une vierge peuvent guérir du VIH, l’hypothèse souvent erronée selon laquelle les personnes handicapées sont sexuellement inactives donc vierges et exemptes de toutes maladies sexuellement transmissibles les rend également vulnérables aux agresseurs qui supposent qu’elles sont des partenaires sexuels sûrs.

Yahanazou nous raconte qu’elle a été de nombreuses fois approchée par les hommes mais sa famille l’a mis en garde et la protège:

« Je voudrais me marier mais c’est quelque chose de très difficile. Il y a déjà des garçons qui sont venus vers moi, mais Dieu n’a pas permis que cela se réalise. Quand les garçons viennent, mes frères pensent que c’est pour profiter de moi. Quand on leur demande de se manifester, ils disparaissent. Mes parents m’ont prévenu que s’ils me parlaient, je ne devais pas leur prêter attention.

Un jour, quelqu’un à côté de la maison m’a approché. A chaque fois quand je partais à l’école, il m’arrêtait. Je l’ai dit à ma maman, elle m’a dit d’aller doucement avec lui car il y a des gens qui peuvent m’envoûter et m’enlever pour être sacrifiée. Pourtant, j’avais quand même envie d’aller avec lui… Il m’a dit qu’il allait m’apprendre à travailler comme lui, dans une agence de transfert d’argent. Mes parents sont partis le voir pour lui demander de me laisser tranquille sinon ils allaient le convoquer au commissariat de police. Il a fallu l’intervention de mon tonton. Après, il m’a laissé en paix. »

Les OPH alertent sur le problème de la prise en charge de la fille handicapée si celle-ci est victime de viol et de grossesses non-désirées car est souvent abandonnée par sa famille. Il n'existe pas de mesures pratiques pour prévenir ces cas de viol, ou de dispositifs pour accompagner et soutenir ces femmes pour dénoncer ces cas de viols, ni pour réinsérer socialement les victimes de violences sexuelles. Les poursuites judiciaires sont rares du fait des pesanteurs socio-culturelles.

Au Niger, on retrouve une pratique traditionnelle nommée « Wahaya », connue aussi sous le nom de la « cinquième épouse ». Les jeunes filles, qui parfois n’ont pas plus de 12 ans, sont vendues comme esclaves sexuelles et domestiques en tant que « cinquième épouse » non officielle — en plus des quatre officiellement autorisées. Cette pratique encore présente au Niger, notamment dû à la traite des jeunes filles à la frontière entre le Niger et le Nigeria dans la région de Tahoua, rend très vulnérable les jeunes filles car elles ne bénéficient alors d’aucun statut légal. En 2014, les tribunaux ont condamné un homme pour cette pratique. Les filles handicapées peuvent être particulièrement concernées par la Wahaya car elles représentent un fardeau et une charge pour les parents qui chercheront à se débarrasser d’elles par tous les moyens.

Les enfants doivent souvent marcher 10-15 km pour aller à l’école et les filles se font embêter sur la route, c’est souvent à ce moment là que les violence sexuelles ont lieu.

FGD avec les OPH, Maradi

La fille handicapée est une proie facile. Dès qu’elle voit un garçon l’approcher, elle est contente et l’accepte facilement, alors que lui, c’est pour profiter d’elle. Ils ne veulent pas se marier.

FGD avec les OPH, Maradi

Analyse des éléments facilitateurs

1/ Les enfants handicapés & leurs parents

Les parents d’enfants handicapés constituent des éléments clés dans la réussite scolaire des filles handicapées et dans la sensibilisation des autres parents d’enfants handicapés. On constate que les parents d’enfants handicapés sont, pour leur grande majorité, sous l’emprise des pesanteurs socio-culturelles, ce qui conduit à des pratiques de discrimination, de relégation ou d’enfermement.

Par ailleurs, ils ignorent les potentialités des enfants handicapés à apprendre et à réussir à l’école. Généralement, c’est la mère qui est investie dans l’éducation des filles mais on remarque que père (ou une figure paternelle) a aussi un rôle déterminant dans leur réussite scolaire. Le rôle des aînés est aussi important à travers l’aide au devoir.

On observe que lorsque les parents et les membres de la famille sont sensibilisés, ils sont confiants dans la réussite de leurs enfants handicapés, et ces derniers — notamment les filles — réussissent souvent mieux à l’école que les enfants non-handicapés. Pour Habsatou, « c’est grâce à mon cousin que j’ai de bonnes notes. Il va à l’université. Il m’aide dans les devoirs ».

C’est aussi l’extrême pauvreté des familles qui pousse les enfants handicapés à la mendicité et les empêche d’être scolarisés. Ce phénomène est très répandu au Niger.

2/ Les enfants non-handicapés & leurs parents

Les parents des enfants non-handicapés ne donnent pas souvent le bon exemple et contribuent à la stigmatisation par les autres élèves. Pourtant, lorsque les enfants non-handicapés sont sensibilisés, on constate qu’ils manifestent de l’empathie et de la solidarité à l’égard de leurs camarades handicapés.

A l’inverse, lorsque les enfants non-handicapés n’ont pas été sensibilisés, leurs moqueries constituent de véritables blessures pour les enfants handicapés, à tel point que deux enfants handicapés moteur que nous avons rencontrés (dont Balkis), qui ont pourtant eu la chance de recevoir un tricycle, préfèrent ne pas l’utiliser à l’école par peur des moqueries de leurs camarades.

3/ Les leaders politiques, religieux et les chefs coutumiers

Les leaders politiques, religieux et les chefs coutumiers exercent une grande influence dans leurs communautés. Ils peuvent jouer un rôle crucial pour la sensibilisation. Même si la religion — que ce soit l’islam ou le christianisme — encouragent à la bienveillance à l’égard des personnes handicapées, les pratiques des croyants sont parfois éloignées de cette ouverture.

En revanche, en ce qui concerne les questions de genre, certains leaders religieux et chefs coutumiers n’encouragent pas la scolarisation des filles car l’école dite « moderne » pervertirait les valeurs traditionnelles.

4/ Les OPH

Contrairement au Burkina Faso où les OPH ont été les fers de lance de l’éducation inclusive, l’éducation inclusive au Niger est de l’initiative des organisations internationales, et notamment les projets de HI en coopération avec les structures de l’Etat. Les OPH gèrent quelques structures d’éducation spécialisées qui restent localisées dans la capitale et les grands centres urbains comme Maradi ou Zinder. Elles aimeraient investir le champ de l’éducation inclusive en créant leurs propres écoles inclusives mais les partenaires et les moyens financiers manquent.

Le premier problème à dépasser est celui de l’identification des enfants handicapés qui ont tendance à être invisibles car cachés par leur famille.

A la différence du Mali où il existe des relais communautaires pour faciliter l’identification des enfants handicapés, et du Burkina Faso qui a mis en place ses commissions communales au sein des Comités Villageois de Développement afin de mieux identifier, orienter et prendre en charge l’enfant handicapé dans la globalité, au Niger, la constitution de relais communautaires se met en place avec plus de difficulté.

Enfin, les OPH constatent que le problème de l’éducation des enfants handicapés se situe aussi en terme d’insertion professionnelle et d’accès à l’emploi. Elles regrettent le manque de centres de formation professionnelle et de débouchés pour leurs élèves.

5/ Les acteurs éducatifs

L’éducation est marquée par une carence quantitative et qualitative d’enseignants formés à l’approche inclusive, aussi bien dans le champ de l’éducation spéciale que dans les écoles publiques. Pourtant, on observe que les enseignants jouent un rôle déterminant dans la scolarisation des enfants (en empêchant des mariages précoces par exemple).

Le matériel pédagogique et les processus d’apprentissage et d’enseignement ne sont pas sensibles au genre et au handicap. Ils reflètent des perspectives et des hiérarchies de pouvoir centrées sur les hommes. L’absence de modèles de femmes handicapées dans le matériel pédagogique, dans les médias et en tant qu’éducateurs et mentors, souligne leur invisibilité. Des modèles et des représentations positifs sont nécessaires pour changer les attitudes et encourager les filles handicapées (et leurs familles) à poursuivre leurs études.

6/ Les institutions et les politiques publiques

Le problème de l’éducation au Niger est général. L’Etat doit poursuivre ses efforts pour atteindre la scolarisation primaire universelle. Pour toucher les filles handicapées en particulier, l’Etat doit mettre le budget nécessaire pour appliquer sur le terrain les politiques existantes en faveur de l’éducation des filles (frais de scolarité gratuits, kits scolaires, rations alimentaires, bourses, etc.), concevoir une véritable politique d’éducation inclusive avec les OPH, et instaurer des subventions supplémentaires pour les enfants handicapés (soins de scolarité et de santé gratuits, aides à la mobilité, matériels spécialisés, livres et manuels adaptés, bourses, etc.).


Recommandations

Il est nécessaire d’avoir une double approche pour la promotion de l’éducation des filles handicapées, ce qui implique un meilleur accès et une meilleure qualité de l’enseignement pour tous les enfants ainsi que des programmes ciblés pour les filles handicapées en particulier. Pour planifier toutes ces politiques, il est urgent de combler le déficit de données sur le handicap et le genre.