Résultats

L'étude a permis de confirmer un certain nombre d'hypothèses et d'apporter les preuves que les filles handicapées sont davantage discriminées face à l’éducation en raison de leur genre et de leur handicap.

L'équipe de recherche a cherché à mieux comprendre l’influence exercée par la religion et les croyances populaires dans l’aboutissement de cette double discrimination.

Lees chercheuses se sont interrogées sur la manière dont le genre, le handicap et l’âge façonnaient les expériences des filles handicapées dans l’accès et le maintien à l’école, ainsi que sur l’existence d’autres facteurs aggravant leur discrimination, les spécificités liées au type et au degré de handicap, et les enjeux liés à leur protection.

Elles ont également essayé de dégager des points communs et des spécificités dans les différents contextes et pays étudiés.


Influence des croyances religieuses et populaires

dans l’éducation des filles handicapées au Mali, Niger et Burkina Faso

Les perceptions et attitudes négatives des familles et de la communauté en général autour du handicap, conditionnées par des croyances populaires et religieuses encore solidement ancrées dans les sociétés ouest-africaines, constituent l’une des barrières les plus importantes à la scolarisation des enfants handicapés, et des filles en particulier.

# Les croyances populaires alimentent une perception négative du handicap, liée au divin et au surnaturel. La perception et le traitement du handicap varient cependant en fonction des groupes ethniques.

# Cette perception négative est accentuée pour certains handicaps sévères (notamment la déficience intellectuelle, les polyhandicapés ou les « enfants-serpents » et les albinos) et au détriment des filles qui sont plus vulnérables aux abus sexuels et plus susceptibles d’être abandonnées ou tuées à la naissance.

# Les familles sont à la fois victimes et bourreaux : les membres de la famille (et en particulier les mères) subissent eux-aussi la stigmatisation et sont souvent à l’origine des mauvais traitements infligés aux enfants handicapés.

# Les parents sont particulièrement sensibles aux remèdes des guérisseurs et des tradi-praticiens qui ne font qu’aggraver la santé de leurs enfants

# Les perceptions négatives autour du handicap sont plus du fait des croyances populaires que de la religion en elle-même — que ce soit l’islam ou le christianisme — qui apporte un message de bienveillance et de protection à l’égard des personnes handicapées.

# En revanche, l’islam est généralement associée à une faible participation des femmes à l’école. Certains parents préfèrent l’éducation islamique pour leurs filles car ils craignent que l’éducation moderne (« l’école des Blancs ») ne promeuve des valeurs et des comportements contraires aux normes culturelles.

# Au Burkina Faso, les organisations chrétiennes — catholiques et protestantes — ont été pionnières dans le champ de l’éducation inclusive et dominent toujours ce secteur aujourd’hui. Elles ont tendance à encourager les parents à scolariser leurs filles handicapées en finançant complètement leur prise en charge éducative.

Les discriminations liées à l’intersectionnalité

Genre & Handicap

Dans les trois pays, les garçons et les filles handicapés connaissent des cas similaires d’exclusion sociale à l’école. Toutefois, durant l'étude, les filles handicapées ont été régulièrement signalées comme étant confrontées à une stigmatisation accrue, à un plus grand manque d’opportunités et à une plus grande marginalisation par rapport aux garçons handicapés.

Elles ont notamment moins de chances de recevoir une éducation que les garçons handicapés.

Les filles handicapées sont la dernière des priorités pour l’affectation des ressources limitées.

Let me Decide and Thrive, Plan International

Les facteurs socio-culturels et socio-économiques interviennent de manière significative dans les décisions familiales de ne pas envoyer les filles à l’école ou de les retirer.

Les familles et les communautés vont favoriser le plus souvent les garçons au détriment des filles, entraînant des différences d’opportunités et de résultats sur le plan de l’éducation.

Les enfants handicapés sont considérés comme une charge supplémentaire pour la famille, et d’autant plus les filles handicapées, dans un contexte où les normes de genre inégalitaires restreignent fortement les chances des filles d’être scolarisées.

L’éducation des filles handicapées est même vue comme une perte économique car elles contribuent activement à la survie économique du foyer à travers la mendicité et participent activement aux tâches domestiques.



# Dans tous les établissements visités, les garçons handicapés sont plus scolarisés que les filles handicapées et leurs effectifs se réduisent drastiquement au fur et à mesure de la scolarité. Elles ont généralement des taux de redoublement, d’échec et d’abandon plus élevés que les garçons.

La scolarisation des filles en Afrique de l’Ouest : des coûts d’opportunité élevés

Ces coûts sont liés aux « services » que perd la famille lorsqu’une jeune fille est scolarisée. Une fois que les obstacles posés par les coûts directs et indirects sont franchis, il est important de comprendre ces coûts d’opportunité. La scolarisation des filles africaines entraîne des coûts d’opportunité particulièrement élevés car les corvées de combustible et d’eau, qui demandent beaucoup de temps et de main d’oeuvre, sont généralement effectuées par des jeunes filles en âge scolaire. Les filles s’occupent également de leurs plus jeunes frères et soeurs lorsque leurs parents travaillent ou lorsqu’il n’y a pas de service local de prise en charge des enfants. Les filles vendent souvent les produits sur les marchés locaux et sont impliquées dans un large éventail d’activités à vocation commerciale. Ce sont également elles les plus touchées par l’épidémie de VIH/SIDA. Non seulement elles sont plus menacées par cette maladie que les garçons, mais ce sont également elles qui devront manquer l’école pour s’occuper des membres de leur famille qui sont malades.

La décision de faire instruire une fille dépendra des bénéfices économiques et sociaux perçus par les parents et les personnes dans leur environnement immédiat.

On peut remarquer que les coûts d’opportunité concernant la scolarisation des filles varient en Afrique. Par exemple, au Soudan, plus une fille est éduquée, moins elle a de valeur, ce qui engendre des coûts d’opportunité de taille pour les parents. En revanche, dans une large partie du sud de l’Afrique, une fille éduquée représente une dot plus importante qu’une fille moins éduquée.

# Dans les pays ciblés par cette étude, il faudrait pouvoir réduire le coût d’opportunité lié à la scolarisation des filles handicapées en changeant progressivement les représentations négatives accolées aux filles handicapées. Pour cela, il s’agit de démontrer que les filles handicapées éduquées ont plus de chances d’être autonome, de travailler, de gagner de meilleurs salaires, d’avoir une meilleure qualité de vie, et surtout, de ne plus être une charge mais une source de revenu pour les parents.

Les discriminations spécifiques liées à l’âge


La variable « âge » intervient très souvent en aggravant la discrimination à l’encontre des filles handicapées par rapport aux garçons handicapés, notamment à cause de la différence de traitement du genre liée à la puberté.

# Inscriptions tardives : les filles handicapées sont souvent inscrites tard à l’école. Certaines sont été refusées à cause leur âge avancé. Les classes « passerelles » permettent aux filles handicapées d’être scolarisées.

# La question des travaux domestiques : le retard des filles handicapées s’explique par le fait qu’elles ont moins le temps de faire leurs devoirs car, comme les autres filles non-handicapées, elles doivent aussi assumer leur part du travail domestique ce qui n’est généralement pas le cas du garçon.

# La question du mariage précoce : les filles handicapées semblent moins concernées par le mariage précoce car il est plus difficile pour elles de se marier, excepté au Mali semblerait-il d’après les entretiens, où « les filles handicapées sont retirées à partir de 12 ans, et avant 15 ans, afin qu’elles n’opposent pas de résistance au mariage forcé et précoce. Lorsqu’elles se marient, elles vont généralement épouser des hommes âgés ou des pairs. De nombreuses familles pauvres tenteront de marier leurs filles handicapées le plus tôt possible afin de transférer le fardeau des soins et d’être assurées que quelqu’un s’occupera d'elles. Certains parents sont prêts à donner leurs filles handicapées à marier ‘gratuitement’, c’est-à-dire sans réclamer de dot. » Ces filles courent donc un plus grand risque de se retrouver dans une relation violente et d’être privées d’accès à l’éducation.

# Les risques d’abandon liés à la puberté : les filles handicapées sont néanmoins retirées de l’école à l’approche de la puberté afin de les protéger d’une grossesse hors mariage considérée comme honteuse. Elles sont plus vulnérables aux violences sexuelles qui peuvent avoir lieu sur le chemin de l’école ou à l’école. Le manque de toilettes adaptées pour les filles handicapées, notamment pendant les périodes de menstruations, est également une cause d’absences répétées et d’abandon. On estime qu’une étudiante africaine sur dix manque l’école pendant ses règles faute d’installations sanitaires adaptées.

# Si la scolarisation des filles handicapées commencent à faire son chemin dans l’esprit des parents, ils ne les poussent cependant pas à poursuivre au secondaire. Les acteurs éducatifs observent que lorsque le garçon handicapé a des mauvais résultats, les parents vont plutôt le faire redoubler alors que si c’est le cas pour la fille handicapée, les parents vont la retirer de l’école pour diminuer les dépenses et pour qu’elle aide la mère à la maison.

Les facteurs aggravants

Pauvreté & Lieu de résidence

Les recensements et les études montrent que les chances pour un fille handicapée d’être scolarisée dépendent aussi bien de son milieu socio-économique, du niveau d’éducation du chef de famille que de son lieu de résidence.

# Résider en milieu rural est nettement plus préjudiciable à la scolarisation d’un enfant que le fait d’être une fille. Etre fille orpheline des deux parents en milieu rural limite considérablement les chances de scolarisation. De même, être fille avec un handicap en milieu rural constitue un obstacle majeur à la scolarisation. Des disparités importantes subsistent également au sein même des pays, entre régions.

# Les enfants handicapés, sont souvent abandonnés aux grands-parents, surtout au Niger où l'équipe de recherche a rencontré de nombreux cas où les parents d’enfants handicapés ont divorcés après que le père ou la mère a quitté le foyer à cause du handicap de l’enfant. Dans le cadre d’un remariage polygame, les chercheuses ont pu observer que les enfants handicapés étaient souvent abandonnés aux grands-parents.

# La question de la mendicité : la préoccupation principale des acteurs rencontrés est l’exploitation des enfants handicapés due à la paupérisation des ménages. La mendicité des enfants handicapées semble être un problème central au Niger — plus qu’au Mali ou au Burkina Faso d'après les entretiens — où l’image de la personne handicapée est fortement associée à la mendicité dans les mentalités. La mendicité concerne aussi bien les garçons que les filles handicapés.

# Les problèmes de transport à la base des abandons scolaires : dans les trois pays, les écoles spécialisées ou inclusives sont souvent concentrées dans la capitale et dans les grands centres urbains. Le coût et le temps consacré au transport sont souvent insurmontables pour les parents qui se découragent, même quand les frais de scolarité sont subventionnés. Les longues distances à pied entre le domicile familial et l’école publique ordinaire — surtout en zones rurales — posent également la question de la sécurité des enfants handicapés et surtout des filles, ce qui constitue un motif supplémentaire pour dissuader les parents de scolariser leurs filles handicapées. L’objectif de rapprocher l’école ordinaire des enfants handicapés prend ici tout son sens.

# Les acteurs éducatifs constatent que l’installation d’une cantine scolaire augmente les taux de scolarisation car cela motive les parents et permet aux enfants de faire une journée continue sans devoir rentrer chez eux le midi.

# Les problèmes de logement pour scolariser les filles handicapées : peu de structures d’éducation spécialisée ou inclusive possèdent des internats. Au Mali, l’internat de l’AMALDEME pour les déficients intellectuels est ouvert uniquement aux garçons car « s’il existait un internat pour filles, les parents auraient tendance à les abandonner aux associations ou aux ONG ». Le fait d’avoir de la famille ou un tuteur pour héberger l’enfant près de l’école augmente ses chances d’être scolarisé. Mais les parents hésitent à laisser leurs filles sans surveillance adéquate pour des raisons de sécurité et de protection. Les familles rurales vont plutôt envoyer un garçon handicapé étudier en ville qu’une fille handicapée. Au Burkina Faso, l’UN-ABPAM a rencontré des difficultés particulières à scolariser les filles non-voyantes dans les régions car l’association n’arrivait pas à leur trouver des familles d’accueil à cause de problèmes ethniques et de clans.

Spécificités liées au type et au degré du handicap


# Parmi tous les handicaps, les enfants avec une déficience physique ont moins de difficulté à être scolarisés dans une école ordinaire près de chez eux à condition d’améliorer l’accessibilité des établissements (rampes et toilettes adaptées, aides à la mobilité).

# Les enfants avec des déficiences visuelles, auditives et surtout intellectuelles ont plus de difficulté à être pris en charge. La plupart du temps, il n’existe pas de solutions pour les enfants avec des handicaps plus sévères. Les parents n’essaient même pas de scolariser leurs enfants. Les institutions spécialisées et inclusives sont rares et principalement localisées dans la capitale ou dans les grands centres urbains. Beaucoup de parents n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants dans une école spécialisée ou privée, surtout s’ils vivent en zone rurale, et la très grande majorité des écoles publiques ne sont pas en capacité de les accueillir. Les enfants avec des déficiences visuelles, auditives ou intellectuelles légères sont souvent scolarisés dans des écoles ordinaires où les enseignants n’ont pas été formés à l’éducation inclusive, et où l’école et la pédagogie ne sont pas adaptées pour eux.

# Le système de classe intégratrice (ou CTIS) pour les enfants déficients auditifs et visuels semble bien fonctionner au Niger et au Burkina Faso lorsque les enseignants sont bien formés, la pédagogie adaptée et que la classe se situe au coeur de l’école. Ce système permet de donner dans les premières années d’apprentissage les bases en langues des signes ou du braille à des enfants de différents âges, et de les intégrer par la suite dans des classes ordinaires du même établissement, où un enseignant itinérant vient épauler l’enseignant principal.

# Le système de classe inclusive pour les enfants avec une déficience auditive et visuelle semble bien fonctionner au Mali à condition de fournir une formation initiale solide aux enseignants et aux enfants avant la rentrée des classes, un accompagnement rapproché par un enseignant spécialisé itinérant et de proposer une formation continue — aux enseignants, aux enfants, et aux parents — tout le long de l’année en dehors de la classe.

# Le coût du matériel spécialisé pour les enfants non-voyants est particulièrement élevé, leur apprentissage est donc limité.

# Lorsque les enfants avec une déficience auditive et visuelle arrivent à être scolarisés, ils rencontrent des difficultés à aller au-delà du primaire car la pédagogie dans les établissements du secondaire n’est pas adaptée. Il semble que ce soit plus difficile pour les enfants avec une déficience auditive car ils n’ont souvent pas d’interprètes professionnels en langue des signes et sont moins accompagnés que les enfants avec une déficience visuelle. Ces enfants n’ont pas les même problèmes d’apprentissage. Les enfants sourds ont des problèmes en lettres liés à la syntaxe de la langue des signes, alors que les enfants aveugles ont des problèmes en sciences.

# La prise en charge des enfants avec une déficience intellectuelle reste problématique dans les trois pays mais particulièrement au Niger où le comité des droits des personnes handicapées a constaté des lacunes importante. Plus le handicap est sévère, plus le risque d’exclusion et de mauvais traitements est élevé. Les enfants poly-handicapés sont très rarement scolarisés, faute de structures adéquates existantes. La scolarisation des enfants avec une déficience intellectuel au sein d’une école ordinaire reste extrêmement difficile, faute de personnel enseignants disponibles et formés car ces enfants demandent une attention constante alors que les classes peuvent atteindre 100 élèves. Les rares structures spécialisées existantes déplorent le manque de moyens pour prendre en charge ces enfants qui demandent des soins spécifiques.


Violences basées sur le genre & Enjeux de protection liés aux filles handicapées


Les études montrent que les mauvais traitements infligés aux femmes handicapées dépassent de loin ceux des femmes non-handicapées.

# Les filles handicapées sont également plus vulnérables que les garçons handicapés et plus exposées aux mauvais traitements, à la maltraitance et aux violences sexuelles.

# Des programmes de protection sur la santé reproductive et de sensibilisation aux violences basées sur le genre sont à développer pour garantir leur intégrité physique et prévenir les abus sexuels. Les OPH alertent sur le problème de la prise en charge de la fille handicapée si celle-ci est victime de viol et de grossesses non-désirées car elle est abandonnée par sa famille.

# Aucune structure ou politique publique n’existe pour venir en aide à ces jeunes filles mères handicapées. De plus, les poursuites judiciaires sont rares du fait des pesanteurs socio-culturelles. Ce phénomène reste largement invisible car très peu documenté.